CD : l'Art de la Fugue par Christophe Rousset, la quintessence
Christophe Rousset poursuit l'exploration de l’œuvre pour clavier de Bach avec L'Art de la Fugue, sa dernière composition qui serait restée inachevée. La complexité de cette œuvre majeure est révélée dans une interprétation épurée qui fera date.
Quintessence de l'art polyphonique, Die Kunst der Fuge BWV 1080, œuvre dans laquelle JS Bach explore toutes les possibilités de l'écriture fuguée, pose de nombreux défis aussi bien à l'interprète qu'à l'auditeur, tant son contenu est ardu et connaît au fil des divers morceaux une complexification croissante. Au point qu'il y a peut-être lieu de l'appréhender avec ménagement, sinon précaution, pour éviter tout effet de saturation. L'écoute par le disque offre peut-être là un atout, voire un avantage sur le concert : celui de pouvoir l'interrompre, la fractionner, s'arrêter en chemin pour faire une pause et mieux la reprendre à un autre moment du récit. Ce qui renvoie à la finalité assignée à cette œuvre. Un but didactique ? Ou l'idée d'une musique en elle-même abstraite, comme si elle était destinée à ne pas être jouée. Ou encore, selon la formule du pianiste Charles Rosen, « une œuvre à jouer pour soi-même, à sentir sous ses doigts autant qu'à écouter ». En tout cas, une musique moins directement abordable que, par exemple, les Variations Goldberg, en raison même de l'extrême rigueur du traitement du contrepoint.
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La genèse de l’œuvre est elle-même étonnante : Bach met à l'ouvrage quelques fugues dès 1730 et ne finira le travail qu'en 1742, selon le manuscrit autographe dit de Berlin. L’œuvre voisine alors avec les Variations Goldberg (1741). Mais Bach continue à travailler plusieurs morceaux jusqu'en 1746. En même temps que L'Offrande musicale (1747). L'Art de la fugue restera sur le métier jusqu'à ses derniers jours, en 1750. Une édition sera établie posthume par son fils CPE Bach en 1751. Depuis lors de nombreuses questions se sont posées aux interprètes comme aux musicologues : quant à l'inachèvement réel ou prétendu de l’œuvre, à l'ordre de jeu des diverses fugues, différent selon l'édition de 1742 et celle de 1751. Ou encore pour ce qui est du type d'instrument sur lequel elle peut être jouée, clavecin, orgue, piano moderne, voire avec plusieurs interprètes, tel qu'un quatuor à cordes. Depuis des décennies, l'idée s'est imposée sur le fait que la composition a été conçue pour le clavier, privilégiant plutôt une exécution au clavecin. C'est le cas au disque, depuis Gustav Leonhardt et plusieurs de ses confrères à sa suite.
Christophe Rousset se place dans cette voie et propose une exécution marquée au sceau de sa profonde connaissance de l'univers du Cantor, comme de sa propre rigueur d'approche musicale. Qui fait son miel de cette fabuleuse succession de variations contrapuntiques, appelées contrapunctus, fugues en majorité à quatre voix et contre-fugues, à partir d'un sujet court, peut-être d'une simplicité trompeuse, et poursuivies par quatre canons à deux voix. Au fil de rythmes changeants bâtissant pas-à-pas un ensemble complet de ce qu'est une composition fuguée. Malgré le caractère austère de l'exercice, le claveciniste en renouvelle l'intérêt, que ce soit dans les morceaux de tempos vif (IX, XIII) ou ceux d'allure moins soutenue (I, X, Canon alla Decima). Jusqu'à ces fugues à deux claviers, ou fugues-miroir (contrapunctus XII & XIII), montrant le goût de Bach pour les symétries, où Rousset fait équipe avec Korneel Bernolet, un partenaire régulier au sein des Talens Lyriques. Rousset ne joue pas la fugue fragmentaire ''a tre soggetti'', que Bach n'aurait pas achevée et incluse dans l'édition de CPE Bach de 1751. Cette interprétation de haut vol bénéficie de la mécanique extrêmement flexible de l'instrument choisi, un clavecin allemand anonyme des années 1750, provenant d'une collection privée, et de sa belle sonorité magnifiquement égale dans tous les registres. Il est capté dans une ambiance séduisante, car placé, comme son alter ego pour les morceaux à deux clavecins, dans une acoustique claire et aérée.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Johann Sebastian Bach : Die Kunst der Fuge. BWV 1080
- Christophe Rousset, Korneel Bernolet (clavecin)
- 1 CD Aparté : AP 313 (Distribution : [Integral])
- Durée du CD : 83 min
- Note technique : (5/5)
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