CD : Atys, l'opéra du Roi
Dans son exploration des œuvres lyriques de Lully, qui monopolise pas moins de deux labels, Aparté, avec en dernier lieu Thésée et CVS, Christophe Rousset présente enfin Atys. Dont on sait la retentissante résurrection en 1987 à l'Opéra Comique grâce au tandem Christie-Villégier. Fruit de sa longue expérience de l'idiome lullyste, son interprétation en propose une vision renouvelée. Le résultat frôle la perfection aussi bien par des choix musicologiques pertinents que par l'engagement d'une distribution vocale prestigieuse.
Puisé dans Ovide et ses Métamorphoses, le sujet du châtiment d'Atys est simple : ce berger qu'on dit insensible à l'amour, mais choisi par la déesse Cybèle comme grand prêtre et amant, tombe sous le charme de la nymphe Sangaride. Et rompt par là-même la promesse de chasteté faite à la déesse. Il en sera châtié car dans un acte de folie il tuera la nymphe adorée, avant de se supprimer lui-même. Éplorée, la déesse le métamorphosera en pin, l'arbre éternellement vert. Atys est ainsi une des rares œuvres de Lully à proposer une fin tragique. Si pour sa quatrième tragédie en musique (1676) le musicien officiel de Louis XIV s'inscrit dans la continuité du ballet de cour, la maîtrise du verbe devient essentielle : c'est une langue choisie que dévoile le poème de Quinault, en vers mêlés, utilisant une polyrythmie subtile dans les récitatifs émaillés de fines inflexions, d'articulations souples. Et l'on est proche de la déclamation théâtrale racinienne. C'est peut-être là ce qui caractérise l'opéra français par rapport au modèle italien. Le fait aussi de combiner poésie et danse : les divertissements sont enchâssés dans la trame dramatique de manière si intime qu'ils sont partie intégrante de l'action. La continuité narrative n'en est pas affectée, bien au contraire. Ce qui peut sembler paradoxal aujourd'hui, où l'on cherche à tout classifier en catégories étanches, procède pourtant d'une évidence : la tragédie en musique fédère indissolublement divers genres pour créer une unité de ton qui lui confère son homogénéité.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Christophe Rousset qui dit se différencier de sa propre vision de la partition telle que conçue en 1987, alors que continuiste auprès de William Christie, utilise un matériau nouveau, fruit des dernières recherches musicologiques sur l’œuvre. Il en propose une approche renouvelée visant l'épure dramatique, en offrant ainsi une autre facette, distincte de l'aspect formel de l'Art louisquatorzien. Qui laisse place à « un drame humain et bouleversant », souligne-t-il. L'exécution privilégie ainsi la souplesse du flux musical dans le maniement du continuo. La justesse des tempos donne vie à cette musique si différentiée aussi dans ses diverses composantes, dont les danses et les ritournelles. Il favorise chez ses chanteurs un récitatif laissant s'épanouir l'expressivité de la langue française, dans ses inflexions multiformes et souvent subtiles comme ses accents proches du langage de la tragédie classique. Et installe un débit qui évite aussi bien la monotonie que l'excès de grandiloquence, dans une manière de laquelle naît l'éloquence du discours. Un exemple : la scène célèbre du ''Sommeil d'Atys'' à l'acte III exhale une douceur hypnotique dans les traits de flûte au prélude comme lors des interventions des divers protagonistes, soit en soliste soit ensemble. Au contraire, la séquence des ''Songes funestes'' qui suit est subitement animée d'une musique aux accents furieux, très marquée aux percussions. Le fini instrumental que prodiguent les musiciens des Talens Lyriques est somptueux : flûte enchanteresse, fluidité du continuo, délicatesse ou brio des percussions sous les doigts de l'indispensable Marie-Ange Petit.
La distribution rassemble une pléiade de jeunes chanteurs habiles à faire sourdre cette expressivité du récitatif lullyste. Tout comme aux musiciens du continuo, Rousset leur demande de travailler sur un large nuancier, en l'occurrence pour une déclamation fuyant l'emphase et aussi proche que possible d'un débit naturel. Les dialogues sont souvent délivrés sur le ton de la confidence, sans préjudice de l'éclat des déclarations enflammées ou désespérées. Ainsi du rôle-titre que le ténor Reinoud Van Mechelen fait sien avec une grande justesse : diction racée, déclamation spontanée, ligne vocale immaculée rendent justice aux déchirements qui habitent ce personnage complexe. Depuis les scènes de dépit amoureux entre Atys et Sangaride jusqu'à la rage désespérée de l'homme prêt à commettre l'irréparable (''Dieux cruels, dieux impitoyables'', acte V/4). Marie Lys, Sangaride, domine assurément comme lui les ornementations et fioritures du langage lullyste. Son beau soprano traduit l'évolution du personnage, de la femme déchirée entre le devoir de se soumettre aux injonctions paternelles et l'amour secret puis avoué pour un bien attirant berger. Le portrait féminin le plus achevé de l’œuvre, celui de Cybèle, est défendu avec panache par Ambroisine Bré, qui fait passer le frisson de la tragédie par une déclamation vocale hautement maîtrisée. Le monologue ''Ah ! Pourquoi me trompez-vous ?'' possède une authentique grandeur et les ultimes interventions laissent percer une indicible émotion. Le rôle du roi Célénus, souvent pourvu d'une musique éclatante, la basse Philippe Estèphe lui prête des accents d'autorité, ceux de l'homme résolu quoique entravé dans sa propre conquête amoureuse. Toutes les autres figures de cette tragédie sont tenues avec justesse dramatique et élégance vocale. Tout comme il en est de la partie chorale assurée par le prestigieux Chœur de chambre de Namur.
L'enregistrement effectué à l'Opéra royal de Versailles installe une perspective scénique grâce à une mise en espace judicieuse, pour une théâtralité discrète, ne mettant pas les voix en exergue. L’équilibre sonore avec le continuo comme la saisie des ritournelles et autres passages en tutti est proche de l'idéal.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Jean-Baptiste Lully : Atys. Tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Poème de Philippe Quinault
- Reinoud Van Mechelen (Atys), Marie Lys (Sangaride), Ambroisine Bré (Cybèle), Philippe Estèphe (Célénus), Romain Bockler (Idas), Gwendoline Blondeel (Doris/Iris/trio), Olivier Cesarini (Le Fleuve Sangar/Phobétor/Le Temps), Kieran White (Le Sommeil/Un Zéphir/trio), Nick Pritchard (Morphée), Antonin Rondepierre (Phantase), Apolline Raï-Westphal (Mélisse/Melpomène/trio), Vlad Crosman (Un Songe funeste)
- Chœur de chambre de Namur, Thibault Lenaerts, direction
- Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
- 3 CDs Château de Versailles Spectacles : CVS126 (Distribution : Outhere Music)
- Durée des CDs : 56 min 42 s + 57 min 01 s + 59 min 04 s
- Note Technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
- ACHETER LE CD
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser
Chœur de chambre de Namur, coup de cœur, Christophe Rousset, Les Talens Lyriques, Ambroisine Bré, Philippe Estèphe, Reinoud van Mechelen, Jean-Baptiste Lully, Gwendoline Blondeel, Thibault Lenaerts, Antonin Rondepierre, Marie Lys, Romain Bockler, Olivier Cesarini, Kieran White, Nick Pritchard, Apolline Raï-Westphal, Vlad Crosman
Commentaires (0)