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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : chefs-d’œuvre du néoclassicisme musical des années 1920

Ce couplage d’œuvres d'Igor Stravinsky et de Manuel de Falla n'a rien de fortuit, fruit du retour à l'ancien, en vogue dans les années 1920, dont la redécouverte du clavecin n'est pas la moindre originalité. Un commun attrait pour la Commedia dell'arte, avec le ballet Pulcinella et l'opéra de poche Les tréteaux de Maître Pierre, réunit le musicien russe et son collègue espagnol. 

Le ballet Pulcinella, que Stravinsky compose en 1919 et dont il tirera l'année suivante une Suite d'orchestre, donnée ici, marque un tournant dans la carrière du compositeur. L'idée en revient à Serge de Diaghilev qui pour ses spectacles des Ballets russes, entendait s'inspirer de modèles anciens, en l'occurrence de Pergolèse. Stravinsky puisera chez celui-ci, mais aussi parmi d'autres musiciens de cette époque. Et prendra quelque distance vis-à-vis d'eux, non pas en copiste à la manière d'un peintre, mais plutôt en portraitiste, en y ajoutant sa propre patte. Comme le dira Ernest Ansermet, créateur du ballet à l'Opéra de Paris, « Pulcinella, en somme, c'est un portrait de Pergolèse par Stravinsky ». Le musicien russe se dira fasciné par l'exotisme espagnol de la musique du napolitain ! Pour illustrer les aventures amoureuses du Polichinelle de la Commedia dell'arte qu'aiment toutes les jeunes filles, sa partition déploie un ton original, en rien russe, usant d'un effectif restreint et inhabituel, mêlant deux quintettes à cordes, hautbois, basson et cor par deux, trompette et trombone, enfin un clavecin. Le résultat est on ne peut plus attachant, truffé d'effets bariolés. On le mesure dans les diverses séquences de la Suite d'orchestre, qui fait se succéder morceaux entraînants (Sinfonia, Scherzino, Tarentella, Finale) ou passages plus lyriques (Serenata, Gavotta, Minuetto). Pablo Heras-Casado en offre une exécution d'un extrême fini instrumental, n'hésitant pas à booster le rythme, à creuser le trait, pour le plus grand bonheur de ses brillants musiciens du Mahler Chamber Orchestra. En cela il livre tout le pastiche de ces vignettes rattachées à l'ancien, arrangées et orchestrées par la fantaisie stravinskienne.

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El retablo de maese Pedro est le fruit d'une commande de la Princesse de Polignac, célèbre mécène, qui au demeurant avait aussi contacté Stravinsky. De Falla offrira en 1923 une œuvre tout à fait inédite : un opéra de chambre constitué de huit courts tableaux relatant un épisode du Don Quichotte de la Manche de Cervantes. En l'occurrence une sorte de théâtre sur le théâtre, celui de Maître Pierre, marionnettiste, racontant l'histoire picaresque de Don Gaïferos, parti sauver sa promise Mélisandre, fille de Charlemagne, retenue prisonnière par le roi des maures, Marsilio. Elle sera sauvée et ceux-ci mis en fuite. Mais Maese Pedro est lui-même aux prises avec Don Quichotte en personne qui, comme à son habitude, confond mirage et réalité et entend bien combattre les marionnettes au nom de la sauvegarde de l’ordre et de la morale. L'originalité de l'opéra est que le public est pris à témoin par un personnage commentant les péripéties de l'histoire, El trujamán, c'est-à-dire le truchement, interprété par un jeune garçon sopraniste. Cette sorte de récitant apporte à la pièce une saveur particulière, en forme de récitatif psalmodié. La musique est tout aussi singulière, puisque usant d'un orchestre réduit en formation de chambre, avec emphase sur la petite harmonie, les cuivres et les percussions, outre la présence d'un clavecin. La présente interprétation mise sur les écarts de dynamique et restitue parfaitement l’austérité de l’harmonie. La distribution vocale n'appelle que des éloges, notamment le jeune Héctor López de Ayala Uribe qui allie une naïve simplicité à une jolie dose de fantaisie dans la délivrance du texte aux relents chevaleresques.

Tout aussi singulier est le Concerto pour clavecin et cinq instruments, flûte, hautbois, clarinette, violon et violoncelle, composé pour la célèbre claveciniste Wanda Landowska. Après une longue maturation, de Falla le dévoile en 1926 et le créera avec la dédicataire au Palau de la Música de Barcelone. Outre son instrumentarium inhabituel, il se signale par ses audaces harmoniques. Pour évoquer là encore une Espagne éternelle, à l'aune de son prestigieux passé. Ainsi du thème du premier mouvement inspiré d'une chanson populaire castillane du XVème siècle, tout comme le finale trottinant qui s'inspire de Scarlatti, tant admiré au-delà des Pyrénées. Un ton à la fois archaïque et résolument moderne, juxtaposant polyphonie ancienne et procédés novateurs, confère à cette œuvre un charme particulier. Benjamin Alard joue un clavecin Pleyel ''grand modèle'' à deux claviers, de la facture de celui utilisé par Wanda Landowska, et naguère propriété de Rafael Puyana. Sous ses doigtés, bruissent des sonorités inouïes, au fil de fréquents changements de rythmes, magistralement conçus par le chef espagnol. Et saisies par une prise de son d'un beau relief, comme il en est des deux autres œuvres de ce passionnant programme.
Texte Jean-Pierre Robert   

Plus d’infos

  • Manuel de Falla : El retablo de maese Pedro, opéra en un acte. Concerto pour clavecin et cinq instruments
  • Igor Stravinsky : Suite de Pulcinella, ballet d'après Jean-Baptiste Pergolèse
  • Airam Hernández (Maese Pedro), José Antonio López (Don Quijote), Héctor López de Ayala Uribe (El trujamán)
  • Benjamin Alard, clavecin
  • Mahler Chamber Orchestra, dir. Pablo Heras-Casado
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902653 (Distribution :[PIAS])
  • Durée du CD : 62 min 07 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

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Igor Stravinsky, Manuel de Falla, Pablo Heras-Casado, Airam Hernández, José Antonio López, Héctor López de Ayala Uribe, Benjamin Alard, Mahler Chamber Orchestra

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