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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Enesco, le symphoniste

Voici une approche significative de l’œuvre symphonique de Georges Enesco, un répertoire négligé aux côtés de sa musique de chambre et de son opéra Œdipe. Et par un chef roumain à la tête d'un orchestre français. Le plus célèbre compositeur de Roumanie n'avait-il adopté la France comme patrie de cœur. « Les cinq compositions présentées ici offrent un parfait exemple du développement artistique d'un des plus grands artistes du XXème siècle », souligne Cristian Măcelaru.

La musique pour orchestre de Georges Enesco (1881-1955) - de son nom roumain George Enescu - puise profondément dans ses racines roumaines, ses mélodies et rythmes tirés de la musique populaire. Parmi ses premières œuvres orchestrales se détache un diptyque, les deux Rhapsodies roumaines pour orchestre op.11 achevées en 1901. Dans le goût des rhapsodies hongroises de Liszt, la N°1 est par sa suite de danses et de chansons populaires, un concentré de folklore roumain d'une immédiate séduction avec ses glissandos et accélérations irrésistibles. La seconde, dans l'esprit d'une ballade moldave, est plus intime. Introduite par les cordes, elle allie un motif nostalgique à un rythme épique. L'orchestration renferme de beaux solos de flûte et de basson, des dialogues envoûtants et des tuttis pleins d'élan. La célébrité de ces pièces, qui ne s'est jamais démentie, en viendra presque à éclipser les autres œuvres d'Enesco confiées à l'orchestre.

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Elles méritent pourtant qu'on s'y arrête. Car elles s'adossent aussi à l'esprit français, ce qui leur confère une forme d'universalité. Le langage d'Enesco partage plusieurs éléments singuliers tels que le recours à la forme cyclique et un flux mélodique usant de la variation de motifs thématiques extrêmement travaillés, sans cesse modifiés, métamorphosés, grâce à une grande fluidité rythmique et une totale liberté harmonique. Ces principes, on les trouve déjà dans la Symphonie N°1 op.13 en Mi bémol majeur, de 1905. Elle n'est en fait pas la première, si l'on tient compte des quatre ''Symphonies d'école'' qu'avait déjà écrites le tout jeune musicien prodige. L'opus 13 dégage un climat épique par sa riche orchestration. Sa forme en trois mouvements ne comporte pas de scherzo. Le premier, ''Assez vif et rythmé'' débute en fanfare, conquérant, avant de moduler dans un motif plus sombre. La tension grandit jusqu'à une conclusion puissante. Tout en contraste, le mouvement central ''Lent'' offre un climat onirique et mystérieux, presque impressionniste, s'éclaircissant peu à peu pour installer un thème lyrique à la flûte. Le développement est passionné dans sa polyphonie somptueuse, puis la musique s'éteint peu à peu. Le finale ''Vif et vigoureux'' renoue avec le mode épique du début de l'œuvre, dans une rythmique assurée et une manière qui peut faire penser à Richard Strauss. On y admire de magnifiques solos dans la petite harmonie, mais aussi la rutilance des parties de cuivres.

La Symphonie N°2 op.17 en La majeur est achevée en 1914, après une longue gestation. Le perfectionniste Enesco, qui n'en était pas satisfait, envisagera de la réviser. Elle sombrera en fait dans un certain oubli jusqu'à ce qu'elle soit redécouverte en 1961. La plus longue de ses trois œuvres symphoniques se signale par une extrême luxuriance, fruit de l'héritage postromantique de Strauss, voire de Mahler. S'y affichent une quête d'idéal de lumière, de vision humaniste, alors que le monde est prêt à basculer dans un conflit majeur. Le Vivace débute fièrement, telle l’entame du Don Juan de Strauss. Plusieurs thèmes vont se succéder, le premier impétueux, le deuxième pastoral, empruntant au folklore roumain. Ils sont travaillés plus comme des sortes de faisceaux en transformation que comme des motifs stables, évoluant au développement dans la rutilance de tuttis presque cataclysmiques, même si entrecoupés de séquences plus sereines. L'Andante giusto lyrique tutoie à l'occasion le contemplatif par ses solos de clarinette, de flûte ou de cor. Un climat de presque improvisation, sur lequel le chef Măcelaru insiste particulièrement. Le finale s'organise en deux phases : une introduction lente dans une atmosphère sombre et menaçante de marche, puis un ''Allegro vivace, marziale'' plus optimiste, bardé d’éclats de cuivres, porteur de cet idéal de lumière cher au musicien, que l’extrême densité de l'orchestration ne parvient pas toujours à maintenir.    

Toute autre est la Symphonie N°3 op.21 en Ut majeur, de 1916, œuvre majeure se situant dans la lignée des grandes symphonies postromantiques. On l'a qualifiée de dantesque, tant est vaste son instrumentarium, outre l'adjonction du chœur au finale. Ce que traduit aussi le message véhiculé, celui du destin, qu'Enesco fera triompher plus tard dans l'opéra Œdipe. Les trois volets de la symphonie, lent-vif-lent, déclinent cette thématique dans une progression dont le programme pourrait figurer : Purgatoire, Enfer, Paradis. Moderato, le premier mouvement débute dans une manière sombre, presque ténébreuse, d'où surgit un premier thème plein d'élan qui conduit à un autre presque berçant. Au développement, la mobilité du discours pousse à l'élargissement du spectre sonore. Cette richesse atteint son paroxysme à la coda, non sans laisser percer quelque nostalgie. Comme la fin d'un monde. Le Vivace ma non troppo central est une sorte de scherzo très mouvementé juxtaposant un thème nocturne et un autre en forme de marche sinistre. La tension grandit par accumulation, installant un climat d'apocalypse dominé par les cuivres et les percussions. Un rare chaos sonore. Le Lento ma non troppo final débute dans le calme. La portée du message s'affirme, celui de la lumière enfin à l'horizon, ultime étape du voyage initiatique précédemment amorcé. Un usage sophistiqué des divers timbres de l'orchestre, associé au chœur chantant en vocalise, métamorphose la palette sonore. Un climat radieux s'installe dorénavant avec interventions de l'orgue, de clochettes et de cloches. La symphonie se referme sur ce qui « semble certainement être une remarquable déclaration de foi dans l'aptitude au bien de l'âme humaine, face à la preuve quasi accablante du contraire », selon le musicologue Pascal Bentoiu (cité par Alain Cophignon, in ''Georges Enesco'', Fayard).

Le chef roumain Cristian Măcelaru possède bien sûr l'idiome si original de son « héros personnel ». Comme peu aujourd'hui, il restitue les deux faces du génie musical énescien : la fibre populaire roumaine et la « profonde mélancolie présente dans toute la musique d'Enesco », mais aussi ce qui, chez elle, ressort de l'influence de la musique française. À cet égard, il obtient de l'Orchestre National de France, avec lequel s'est forgée une vraie complicité, des sonorités souvent envoûtantes, notamment chez les pupitres des bois où les musiciens français ont peu de rivaux. Reste une tendance à favoriser des tempos lents, en particulier dans les deuxième et troisième symphonies, accentuant cette nostalgie chez son compatriote, qu'il souligne lui-même.

Les prises de son, à l'Auditorium de Radio France à Paris, par les équipes maison, nonobstant à l'occasion quelque compacité dans la saisie des cordes, laissent apparaître une belle immédiateté.
Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Georges Enesco : Symphonie N°1, op.13. Symphonie N°2 op.17. Symphonie N°3 op.21. Rhapsodies roumaines op.11 N°1 & N°2
  • Chœur de Radio France, Lionel Sow, maître de chœur (symphonie N°3)
  • Orchestre National de France, dir. Cristian Măcelaru
  • 3 CDs Deutsche Grammophon : 486 5505 (Distribution : Universal Music)
  • Durée de CDs : 55 min 41 s + 56 min 04 s + 50 min 39 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile grise (4/5) 

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