CD : Simon Rattle dirige Britten
Simon Rattle aime à visiter régulièrement la musique de son compatriote Britten. Avec le LSO il reprend deux œuvres emblématiques, la Sinfonia da Requiem et The Young Person's Guide to the Orchestra, et ajoute la Spring Symphony, une première pour lui au disque semble-t-il. Juxtaposition inattendue pour des interprétations empreintes d'énergie et de profondeur.
Fruit d'une commande du gouvernement nippon faite à plusieurs compositeurs, pour commémorer le 2600ème anniversaire de la dynastie japonaise, qui concernant Britten ne fut pas acceptée, la Sinfonia da Requiem reste tributaire de la période de tensions géopolitiques de l'époque. Composé en 1940, cet op.20 du jeune compositeur est conçu comme une réponse à la guerre. Britten puise librement ses trois séquences dans l'ordre conventionnel de la Messe des morts. Il les juxtapose selon le schéma lent-rapide-lent. De sa pulsation obsédante et monotone, le ''Lacrymosa'' figure une lamentation rituelle. Le ''Dies irae'' est une puissante danse macabre, à l'écriture orchestrale virtuose, en forme de marche sauvage et démoniaque. Et le ''Requiem æternam'', dans sa manière de berceuse consolatrice, ramène le calme jusqu'à sa conclusion apaisée. Avec cette saisie en concert de 2019, Rattle n'élude pas les contradictions structurant cette étonnante partition, entre terreur et compassion, douleur et apaisement.
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Tout autre est la Spring Symphony op.44 (1949). Britten se détache des spécifications de la commande, faite en 1942 par le chef Serge Koussevitzky, en concevant une œuvre symphonique mêlant chœurs d'adultes et d'enfants à trois solistes vocaux, soprano, mezzo & ténor. Cette symphonie du printemps, en quatre parties comme l'exigent les canons d'une œuvre classique, puise dans un florilège de textes extrêmement divers. Dans cette exécution live de 2018, Simon Rattle libère une forte énergie qu'accentuent des contrastes dynamiques extrêmes. Ainsi de la première partie annonçant l'arrivée du printemps à travers successivement l'apparition de la lumière après l'évocation du froid hiver (« musique glaciale », selon l'auteur), les cuivres enthousiastes émaillant le chant du ténor (''The merry cuckoo'') enfin la séquence de chœurs entonnant divers chants d'oiseaux. L'assemblage de textes de climats différents est parfaitement ménagé. Tout en contraste, la deuxième partie, sorte de mouvement lent, évoque les nuits printanières au fil de divers solos de la mezzo-soprano, du ténor, celui-ci dans un chant comme murmuré sur des cordes en sourdine, mais aussi de chœurs où l'angoisse semble percer derrière les bienfaits de cette saison : métaphore du printemps de la paix versus l'hiver de la guerre. La 3ème partie apporte l'allégresse, avec l'air du ténor célébrant les espoirs amoureux et un duo soprano-ténor, hymne à l'amour champêtre. La dernière partie est plus étonnante encore, car enchaînant divers états puisés à un seul poème anonyme du XIIème siècle : l'offrande au mois de mai de la ville de Londres. On y croise fanfares populaires, évocations aussi bien urbaines que champêtres, éclatement de lumière et déferlement optimiste, dans la pure tradition britannique. Ce que traduit une instrumentation très sophistiquée. Rattle s'empare de cet hymne symphonique avec une belle faconde, entouré de magnifiques solistes, Allan Clayton, ténor, Alice Coote, mezzo-soprano et la soprano Elizabeth Watts.
The Young Person's Guide to the Orchestra op.34, conçu comme des Variations et fugue sur un thème de Purcell, a une vocation pédagogique : instruire les enfants sur ce qu'est l'orchestre symphonique. L’œuvre est donnée ici dans sa version purement instrumentale sans narration. C'est un guide pour l'auditeur, en termes d'initiation non pas aux divers instruments de l'orchestre (comme dans Pierre et le loup de Prokofiev), ou à une sorte de représentation imagée (du monde animal, tel Le carnaval des animaux de Saint-Saëns), mais bien plus finement à ce qu'est l'orchestration. Ainsi le thème est-il exposé par l’orchestre au grand complet. Puis les quatre départements que sont bois, cordes, cuivres et percussions sont évoqués dans les 13 variations, avant la fugue finale que reprend tout l'orchestre. Mais des chevauchements se produisent entre les groupes, ce qui corse le propos et lui confère un aspect ludique. L'interprétation de Rattle est pleine de zest et d'élan, au plus près des mille et une nuances du langage ingénieux de Britten.
Les captations live au Barbican Hall de Londres, entre 2018 et 2021, sont satisfaisantes, même s'il n'est pas toujours aisé de saisir la complexité de l'orchestration de Britten. Ainsi la prise de son aurait-elle pu apporter plus de relief aux textures de la Spring Symphony.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Benjamin Britten : Sinfonia da Requiem op.20. Spring Symphony op.44. The Young Person's Guide to the Orchestra op.34
- Elizabeth Watts (soprano), Alice Coote (mezzo-soprano), Allan Clayton (ténor)
- Tiffin Boys' Choir, Tiffin Children's Chorus, The Tiffin Girls' School Choir, James Day, director
- London Symphony Chorus, Simon Halsey, chorus director
- London Symphony Orchestra, dir. Sir Simon Rattle
- 1 CD LSOlive : LSO0830 (Distribution : [Integral])
- Durée du CD : 79 min 31 s
- Note technique : (4/5)
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