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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : la musique vocale de Messiaen magnifiée par Barbara Hannigan et Bertrand Chamayou

Moins connues que ses œuvres pour orchestre ou ses pièces pour piano, les mélodies de Messiaen sont tout autant essentielles dans sa production. On le mesure aux deux cycles donnés ici, Poèmes pour Mi et Chants de Terre et de Ciel, auxquels est adjointe une rareté, La mort du nombre. Et surtout à la présente interprétation où deux immenses artistes conjuguant leurs talents en proposent des interprétations où ils font jeu égal. Comme le requièrent précisément ces compositions.

Poèmes pour Mi est un cycle de neuf mélodies réparties en deux livres. Écrit en 1936, dédié à la première épouse de Messiaen, Claire Delbos, surnommée Mi, il est conçu comme une célébration du mariage. Composée pour soprano et piano, l’œuvre sera orchestrée l'année suivante. Les textes sont du musicien lui-même, comme il en est de ses autres cycles. Les poèmes ont été conçus en fonction de la musique. Car comme le dira le compositeur, tout en se gardant de toute prétention littéraire, « j'ai toujours écrit des poèmes pour la musique... C'est que mes mélodies et mes rythmes doivent aller de pair avec les poèmes ». Bien que le chant soit confié à une voix de femme, c'est du point de vue de l'homme, de ses états d'âme, qu'est vécu cet hymne à l'institution du mariage. Les quatre premières mélodies figurent successivement une ''Action de grâces'', remerciement au divin, un ''Paysage'', savoir l'apparition du visage de l'aimée, une contemplation de la Vérité (''La maison''), enfin une séquence effrayante (''Épouvante''), évoquant « ce désespoir de l'homme qui a voulu être plus qu'un homme » (Antoine Goléa). Les cinq mélodies du second livre glorifient plus directement l'épouse : « prolongement de l'époux ». Puis comparée, dans la seconde pièce, ''Ta voix'', à « l'oiseau de printemps qui s'éveille ». La mélodie la plus étonnante reste ''Le Collier'', métaphore de « l'acceptation de la joie simple d'une union... Chant, infiniment léger et brillant, d'une sorte de retour à l'innocence de l’Éden » » (ibid.). Avant l'ultime morceau ''Prière exaucée'', déclamatoire et jubilatoire.

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Deux ans après, Messiaen compose Chants de Terre et de Ciel, également pour soprano et piano. Ce cycle de six pièces est une sorte de continuation du précédent. Mais le propos est désormais celui de la paternité. Le ton est différent : celui de l'homme plus résigné sous le poids des responsabilités, mais aussi attendri vis-à-vis de l’enfance et de son innocence. Car deux des poèmes concernent son propre fils Pascal, ''Danse du bébé-Pilule'' et son refrain enjoué, puis ''Arc-en-ciel d'innocence'', où le tout jeune garçon est comparé à un « jouet incassable ». Le style musical fait montre d'audace dans la partie vocale et de puissance dans celle du piano, quasi symphonique. Le résultat est virtuose dès la première mélodie ''Bail avec Mi'', ou lors des deux dernières : ''Minuit pile ou face'', sorte de danse funèbre dans sa rythmique saccadée, qui se referme pourtant dans la douceur, le presque murmure. Et ''Résurrection'', hymne grandiose, cheminement vers « la Vérité ».      

Datant de 1930, La mort du nombre pour soprano, ténor, violon et piano est une sorte de bref dialogue entre deux âmes se lamentant d'être séparées et exprimant le désir d'être réunies. Autant la voix de l'une (ténor) est agitée, dramatique, autant celle de l'autre (soprano) se fait calme et rassurante. Le titre de l’œuvre montre déjà l'intérêt de Messiaen pour l'idée de dissolution du temps. 

Il est des rencontres quasi providentielles entre des œuvres et leurs interprètes. Celle-ci en est une. On la doit à la clairvoyance de la chanteuse. Barbara Hannigan indique avoir conçu ce projet Messiaen, une première pour elle, après avoir entendu Bertrand Chamayou jouer Ravel et avoir été impressionnée par le legato de son jeu, le caractère « liquide et hypnotique » de sa prestation. Or, dans les œuvres vocales de Messiaen, la partie de piano, loin d'être pur accompagnement, occupe une place égale à celle de la voix. Et peu de pianistes aujourd'hui savent comme Chamayou pénétrer d'aussi près le langage de Messiaen. Comme il l'a magistralement démontré dans une exécution d'anthologie des Vingt regards sur l'Enfant-Jésus. Il déploie pareil investissement ici, comme est en parfaite symbiose avec sa partenaire. L'engagement de la cantatrice canadienne est bien connu. Alors que ces cycles ont été conçus pour une voix de soprano dramatique, son timbre plus lyrique sait se faire tour à tour corsé ou lumineux et presque séraphique dans le haut du registre. La clarté de la diction rejoint le sens des nuances, le dosage des contrastes entre une manière de psalmodie, proche de l'incantatoire, et un état jubilatoire mêlé de vocalises. Une mention particulière aux deux autres interprètes de la dernière pièce, le ténor canadien Charles Sy et la violoniste Vilde Frang.

Ces exécutions sont magnifiées par la prise de son dans les studios de la radio néerlandaise à Hilversum, modèle d'équilibre voix-piano.
Texte de Jean-Pierre Robert      

Plus d’infos

  • Olivier Messiaen : Poèmes pour Mi pour soprano et piano. Chants de Terre et de Ciel pour soprano et piano. La mort du nombre pour soprano, ténor, violon et piano
  • Barbara Hannigan (soprano), Bertrand Chamayou (piano)
  • Avec Charles Sy (ténor) et Vilde Frang (violon, La mort du nombre)
  • 1 CD Alpha Classics : Alpha 1033 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée du CD : 58 min 41 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5) 

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