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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : le compositeur ukrainien Boris Lyatoshynsky

Puisant dans leurs propres racines familiales, les musiciens du Quatuor Tchalik nous font découvrir deux œuvres du compositeur Boris Lyatoshynsky, fruit du bouillonnement culturel des années 1920 en Ukraine. Ils les mettent en miroir avec le Quatuor de Ravel, jetant un pont entre cultures ukrainienne et française. Enrichissante proposition, défendue avec brio.

Boris Lyatoshynsky (1895- 1968) est l'un des grands compositeurs ukrainiens. Parmi un corpus substantiel qui va de l'opéra à la musique symphonique, du piano à la musique de film, le domaine chambriste est loin d'être négligeable, dont cinq quatuors à cordes commis entre 1915 et 1944. Les quatuors N°2 (1922) et N°3 (1928) sont les témoins d'« une brève période d'embellie pour le développement de la langue et de la culture ukrainienne », soulignent les Tchalik. Comme ils sont à la rencontre d'influences slave mais aussi française et viennoise. Le Quatuor N°2 op.4 en La majeur possède une forme cyclique en quatre mouvements et son écriture révèle une totale liberté de style. Il est l’œuvre d'un jeune musicien, alors professeur au Conservatoire de Kiev, tenant du courant de modernité prédominant à l'époque, au point de se voir confier la direction de la filiale ukrainienne de l'Association pour la musique contemporaine récemment créée à Moscou. La partition se ressent de ce modernisme qui fleurissait alors aussi en France. L'Allegro initial est traversé d'une thématique lumineuse initiée par le violon I, avant de basculer dans des soubresauts rythmiques et des modes d'écriture originaux. Le rythme de barcarolle de l'Intermezzo suivant, Molto lento, déploie un mélodisme de goût slave. Il est pourtant empreint d'une transparence toute française, livrant des harmonies séduisantes et un discours qui n'est pas sans rappeler le caractère envoûtant du mouvement lent du Quatuor de Ravel. La comparaison avec cette dernière œuvre se poursuit à l'Allegro vivace e leggero, sorte de scherzo se situant dans les pas du finale du français. Le dernier mouvement, dans un rythme balancé à l’alto, non sans rappeler fugitivement celui du Shéhérazade de Rimski-Korsakov, conclut dans une manière déclamatoire et intense. Les Tchalik y font montre d'une allégresse communicative.

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Mis en parallèle, et joué ici en première position, le Quatuor en Fa majeur de Ravel (1903) révèle un élément fascinant : on découvre soudain combien l'auteur du Boléro doit à la musique russe, à Borodine singulièrement. Les deux mouvements médians rappellent des thèmes du premier quatuor du russe. C'est ainsi que le conçoivent les Tchalik, renonçant à une approche qui se situerait du côté de l'impressionnisme français. Leur vision se veut contrastée, « sous l'angle d'une expressivité fauve », disent-ils. Non qu'elle ne soit pas empreinte de douceur et de fluidité au Moderato initial. Le deuxième mouvement, Assez vif, est très articulé, tandis que lors du trio, ils se font fort de souligner une manière extrêmement chantante eu égard au choix d'un tempo très retenu. Le Très lent voit son thème nocturne magnifié dans sa profondeur, là encore par la volonté de privilégier lenteur et accentuation des oppositions de climats. Le finale, Vif et agité, est impressionnant d'impétuosité. Au total, une exécution, immaculée techniquement, qui vaut par ses contrastes. En qui, mise en directe comparaison avec le Quatuor N°2 de Lyatoshynsky, montre d'évidence qu'il existe des similitudes entre les deux œuvres, et peut-être « une filiation inattendue entre les deux compositeurs » (ibid.).

Tout autre univers avec le Quatuor N°3 op.21 de Lyatoshynsky (1928). Autant le deuxième quatuor s'inscrivait encore dans le néoclassicisme, autant la nouvelle œuvre privilégie un langage atonal et expressionniste. Le musicien se tourne désormais vers la Seconde École de Vienne. Sous-titré ''Suite'', le quatuor se place dans le sillage de la Suite lyrique d'Alban Berg, parue l'année précédente. Et libère une expressivité exacerbée. Ses cinq séquences très contrastées voient prédominer les indications de type rapide (I. Prelude agitato assai, III. Scherzo vivace quasi presto, V. Postlude impetuoso). Les thèmes sont souvent tranchés, presque anguleux. Ainsi de la mélodie angoissée de l'alto sur des pizzicatos percussifs du cello au Nocturne (II) ou des nombreux chromatismes de l'Intermezzo (IV). Surtout l’œuvre est traversée de changements d'écriture aussi fréquents que subits.

Les quatre frères et sœurs de la famille Tchalik, Gabriel et Louise, violons, Sarah, alto, et Marc, violoncelle, s'emparent de cette modernité flamboyante avec une belle conviction. Ils montrent encore une fois, avec ce programme, combien est aisé chez eux le passage du grand répertoire à l'exploration d’œuvres plus rares. Comme lors de leur précédent album consacré à Boris Tishchenko.

L'enregistrement au Studio RIFFX 1 de la Seine Musicale procure une ambiance justement intimiste et un équilibre quasi idéal entre les voix.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Maurice Ravel : Quatuor à cordes en Fa majeur
  • Boris Lyatoshynsky : Quatuors à cordes N°2 op.4 & N°3 op.21 ''Suite''
  • Quatuor Tchalik
  • 1 CD Alkonost Classic : AKL 009 (Distribution : UVM)
  • Durée du CD : 74 min 04 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

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