CD : intégrale des pièces de viole des Forqueray
Cet album du très actif label Château de Versailles Spectacles présente l'ensemble des pièces de viole de gambe connues de la famille Forqueray, père, fils et neveu. Une somme aussi audacieuse dans son travail de recherches que passionnante dans l’interprétation qu'en livrent Myriam Rignol et confrères.
La viole de gambe a connu un essor considérable au XVIIIème siècle avec des figures comme Marin Marais, de Sainte-Colombe, François Couperin ou Michel Corrette. Mais aussi les Forqueray, une famille, une dynastie : Antoine Forqueray, le père (1671-1744), Jean-Baptiste Forqueray, le fils (1699-1782) et un neveu, Nicolas-Gilles Forqueray (1703-1761). La difficulté est de déceler la vraie paternité de chacune des pièces laissées par eux à la postérité. Ou comment s'y retrouver dans un maquis de manuscrits où souvent le seul nom de famille Forqueray y est porté. Bâtir une intégrale Forqueray « c'est autant un rêve qu'un cauchemar et surtout un vrai défi », remarque Myriam Rignol. Eu égard à la densité des manuscrits, très chargés d’annotations, notamment quant aux doigtés requis. Et quant à l'instrumentation apte à rendre justice à une musique réclamant « des instruments d'une générosité immense, pour équilibrer l'exaltation presque dure, réclamée régulièrement par la partition ». Le point commun réside dans les types d’œuvres, conçues d'une part comme des pièces dites de caractère, selon la coutume de l’époque, portraits de personnes en vue, d'autre part, comme des danses, empruntées au vocabulaire de la Suite française.
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S'il est une certitude quant aux auteurs, on la trouve dans les pièces écrites en commun par Antoine et Jean-Baptiste Forqueray, savoir les Pièces de viole avec la Basse Continue, de 1747. Elles s'organisent en cinq Suites comportant chacune 5, 6 ou 7 pièces de caractères souvent très contrastées et riches d'indications précises. Comme ''vivement et d’aplomb'' pour ''La Forqueray'' (!) ou ''avec goût et sans lenteur'' pour ''La Bellement'', l'une et l'autre tirées de la Ière Suite en Ré mineur. Ou encore ''louré'' (La Dubreüil), ou ''gracieusement'' (Chaconne La Buisson) de la IIème Suite en Sol majeur. Ainsi parfois la pièce de caractère emprunte-t-elle au vocabulaire de la danse : Chaconne ici, là Sarabande, comme il en est de ''La Léon'', marquée ''tendrement'', de la Suite en Sol mineur, ou celle presque lascive de ''La D'Aubonne'' extraite de la IVème Suite en Sol mineur. Une pièce se détache du lot : ''le Carillon de Passy'', à jouer ''légèrement et sans vitesse''. On y trouve une succession de climats, comme le mélancolique entremêlé avec le vif et joyeux.
S'agissant des pièces composées par ou attribuées à Antoine Forqueray (le père), réunies dans le Recueil de pièces de violle avec la basse tiré des meilleurs autheurs, on trouve des œuvres fort diverses : au titre des danses, un Branle au rythme bien senti, interprété ici par quatre violistes, clavecin et théorbe, ou une Muzette jouée au théorbe, ou encore le morceau intitulé ''La Girouette''. Comme une agréable Musette légèrement traînante, comportant d'intéressantes variations d'intensité.
Pour ce qui est des pièces conçues par ou attribuées à Jean-Baptiste Forqueray (le fils), elles sacrifient au genre de la danse (Allemande, Courante, Sarabande). Enfin, quelques pièces reviennent à Nicolas-Gilles Forqueray, dit ''Le Neveu''. Elles appartiennent au genre des airs à chanter pratiqués au milieu du XVIIIème siècle. Ainsi d'un Rondeau-Musette sur le refrain ''N'espérez plus jeune Lisette'', extrait du Recueil d'Airs sérieux et à boire de différents auteurs (1719).
Les présentes interprétations n'appellent que des éloges quant à la pertinence des choix opérés en matière d'instrumentation, originaux dans les associations instrumentales qui peuvent parfois varier au sein même d'une même pièce : viole et clavecin avec la basse continue, duo de violes, trio de deux violes et clavecin. Le rôle attribué à ce dernier est essentiel, magnifié par la sonorité franche de l'instrument joué par Julien Wolfs : une copie bien sonnante d'un instrument inspiré d'un modèle de Hemsch. La sonorité des violes peut s'avérer très fournie, quasi orchestrale, notamment concernant les pièces à deux violes (''La Bouron'', de la IIème Suite, ''La Ferrand de la IIIème, ''La Rameau'', de la Vème). Les violistes jouent deux basses de viole à 7 cordes (Myriam Rignol, Mathilde Vialle), un dessus de viole (Lucile Boulanger) et une basse de viole à 8 cordes (Pau Marcos Vicens). Le nuancier de couleurs est vaste, extrêmement travaillé, transcendant la relative austérité de ces musiques, voire le sentiment de répétition ; bien trompeur eu égard à la constante inventivité mélodique, ajoutée à la différentiation en termes de rythmes. Une générosité sonore qui est magnifiée par un enregistrement clair et d'un grand relief.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Antoine Forqueray : Pièces de viole
- Jean-Baptiste (-Antoine) Forqueray : Pièces de viole
- Antoine et Jean-Baptiste Forqueray : Pièces de viole avec la Basse Continue
- Nicolas-Gilles Forqueray : Rondeau Musette, Rondeau (extr. du Recueil d'Airs sérieux et à boire de différents auteurs)
- Myriam Rignol, Pau Marcos Vicens, Mathilde Vialle (viole de gambe), Lucile Boulanger (dessus de viole), Gabriel Rignol (théorbe, luth baroque, guitare baroque), Julien Wolfs (clavecin)
- 2 CDs Château de Versailles Spectacles : CVS 120 (Distribution : Onthere Music France)
- Durée des CDs : 78 min 29 s + 78 min 11 s
- Note technique : (5/5)
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