CD : Femmes compositrices - Sortilèges de flûtes
Ce fascinant album propose un florilège d’œuvres pour flûte composées ou inspirées par des femmes. Témoin de l'essor de ce répertoire de ton si bien français au début du XXème siècle et qui se perpétue actuellement. Des moments de bonheur.
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Quel répertoire plus séduisant que celui de flûte ! Dans le domaine chambriste, les français s'y sont souvent largement illustrés. Et singulièrement des compositrices, dès le début des années 1900, « des femmes passionnées, actrices de la musique de leur temps », souligne Mathilde Calderini. Ainsi de Cécile Chaminade (1857-1944) et son Concertino pour flûte et piano op.107 (1902), dédié à Paul Taffanel, éminent interprète, fondateur de l'école française de flûte. D'un seul tenant et en quelques huit minutes, il fait passer l'auditeur des gammes virtuoses à un animato fantasque conclu par une cadence, et une coda virevoltante. La Sonate pour flûte et piano de Mel Bonis, née en 1858, se veut plus ambitieuse. C'est un bijou d'élégance dans ses quatre mouvements : Andantino mystérieux et mélancolique, suivi d'un aérien scherzo de climat mendelssohnnien, d'un intense et passionné Adagio, d'obédience debussyste et d'un brillant finale Modareto puis grazioso. Quelque quarante ans plus tard, en 1943, la compositrice Claude Arrieu (1903-1990), élève de Marguerite Long, conçoit sa Sonatine pour flûte et piano, d'un néoclassicisme raffiné, typique de l'école française de l'époque des Poulenc, Auric ou Sauguet. Créée par Jean-Pierre Rampal, elle fait se succéder un Allegro moderato insouciant et rêveur, un Andantino charmeur et un Presto divertissant, espiègle avec ses notes tournoyantes répétées. La compositrice Lise Borel (*1993) écrira en 2023, pour Mathilde Calderini, Miroir pour flûte et piano. Cette courte pièce est conçue en trois volets : un soliloque dévolu à la seule flûte, s'élevant dans sa mélopée sinueuse, puis un passage au délicat contrepoint où la flûte est accompagnée de la main droite du piano, enfin un duo flûte et piano où s'épanouit l'harmonie. Une sorte de « jeu de miroir d'introspection, comme plusieurs reflets d'un même visage », indique l'auteure.
L'écriture pour flûte et piano a aussi fertilisé l'imagination de deux musiciens français célèbres, pour qui la femme est l'inspiratrice. En composant ''la Fille aux cheveux de lin'', huitième de ses Préludes pour piano (1910), Debussy fait référence à un personnage à la beauté préraphaélite du poème de Leconte de Lisle. La transcription pour flûte et piano renforce le caractère élégiaque de sa mélodie archaïsante. Celle, due à Karl Lenski, des Six épigraphes antiques, œuvre écrite pour deux pianos (1914), retrouve nul doute l'esprit du singulier projet d'origine (1901) de musique de scène destinée à accompagner la déclamation des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, où Debussy associait alors deux flûtes, deux harpes et le célesta. La pièce Syrinx pour flûte solo évoque elle aussi une figure féminine, une nymphe séduite par le dieu Pan. Francis Poulenc a conçu sa Sonate pour flûte et piano (1957) sur une commande de la Fondation Elizabeth Sprague Coolidge, du nom de la mécène américaine, protectrice de tant de compositeurs du XXème, disparue en 1953, à la mémoire de laquelle elle est dédiée. Le musicien y célèbre un retour au néoclassicisme tout en empruntant aux harmonies de son opéra tout juste contemporain Dialogues des carmélites. L’œuvre respire le charme mélodique aisé de l'auteur tout comme elle évoque sa veine duelle « moine et voyou » : la première dans l'Allegro malinconico, aussi mélancolique que radieux, et à l'heure de la Cantilena, dont le ton grave rappelle celui des interventions de Sœur Constance dans l'opéra, la seconde durant le Presto giocoso final, empli de fantaisie, cachant aussi quelque conflit.
La flûtiste Mathilde Calderini, supersoliste au Philharmonique de Radio France, enlumine ces musiques, pour elle autant de coups de cœur. Cela se ressent à chaque morceau : une sonorité franche autant que raffinée, au service d'un large panel de nuances et toujours d'une grande expressivité. Elle fait équipe avec le pianiste Aurèle Marthan dont le toucher subtil pare l'accompagnement de discrétion alliée à un sens inné du faire-valoir de sa partenaire. La prise de son, dans l'église de Saint-Pée-sur-Nivelle, en Nouvelle-Aquitaine, prodigue un parfait équilibre entre les deux voix et un excellent relief.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Avec Elles''
- Cécile Chaminade : Concerto pour flûte et piano op.107
- Mel Bonis : Sonate pour flûte et piano, op.64
- Claude Arrieu : Sonate pour flûte et piano
- Lise Borel : Miroir pour flûte et piano
- Claude Debussy : La Fille aux cheveux de lin (trans. pour flûte et piano de Roger Brison). Bilitis : six épigraphes antiques (trans. pour flûte et piano par Karl Lenski). Syrinx
- Francis Poulenc : Sonate pour flûte et piano
- Mathilde Calderini (flute), Aurèle Marthan (piano)
- 1 CD Alpha Classics : Alpha 1061 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 73 min 21 s
- Note technique : (5/5)
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