CD : le cycle symphonique ''Ma patrie'' de Smetana
Œuvre phare de Smetana, le cycle symphonique Ma patrie connaît une nouvelle version qui, interprétée par l'Orchestre Philharmonique tchèque sous la direction de son chef principal Semyon Bychkov, s'inscrit dans la lignée des gravures illustres de Karel Ančerl, Rafael Kubelik et Jiří Bělohlávek.
En butte aux critiques de ses détracteurs, accusé de wagnérisme, notamment à propos de son opéra Libuse, diminué physiquement par la surdité, Bedřich Smetana se lance en 1874 dans la composition d'une œuvre symphonique destinée à célébrer sa chère Bohème. Ce sera ''Vyšehrad'', suivi de peu par ''Vltava'', constituant les deux premiers volets d'un cycle de six poèmes symphoniques dont l'écriture se poursuivra jusqu'en 1879 et qui seront réunis sous le nom de Má vlast, Ma patrie. L'ensemble reste une des œuvres les plus connues et jouées du compositeur. Le fil conducteur en est un narratif de l'histoire de la nation de Bohème, des mythes fondateurs à l'épopée hussite, en passant par l'illustration de ses paysages nourris des légendes populaires slaves. Si cette musique ne peut renier son inspiration wagnérienne, celle-ci demeure plus mobilisatrice de la pensée que servile imitatrice. Elle libère aussi bien la palette du paysagiste que l'âme du patriote. Programmatique, sans doute, elle l'est magistralement à l'aune de ce qu'une musique de caractère national peut signifier profondément en termes d'appartenance mais aussi de lien entre héritage du passé et espérances pour le futur.
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''Vyšehrad'' (le haut château fort dominant Prague) compose un vaste tableau célébrant un lieu mythique, évocation grandiose de sa splendeur passée à travers la harpe du barde, les sonneries de cuivres des combats victorieux, mais aussi les épisodes malheureux. On y croise fanfares et traits élégiaques. ''Vltava'', la pièce la plus universellement célébrée, immortalisée sous le terme germanique de Moldau, est le nom de la rivière coulant au pied de la cité et traversant les paysages de Bohème. Smetana en traduit la fluidité aquatique dans le chant des flûtes. Puis ce sont les rythmes de danses populaires des villages que traverse la rivière, suivis d'une section poétique évoquant le calme des eaux à la nuit tombée, enfin le chaos des rapides et de la furie du fleuve. Avec ''Šárka'', l’héroïne guerrière qui à la tête de ses consœurs amazones, se rebelle contre le pouvoir des hommes, le musicien-poète construit un récit dramatique en plusieurs épisodes de climat romantique indéniable. Le quatrième poème ''Par les forêts et les prairies de Bohème'' illustre les paysages d'une nation tant chérie, grâce à une orchestration aussi dense que subtile, à laquelle se mêle un parfum de joie populaire. Les deux derniers volets offrent une perspective différente, plus historisante, voire patriotique. ''Tábor'', du nom d'un village, lieu de l'épopée hussite, est magnifié par de grandioses accords à travers une entame puissante, puis un développement plus délicat et une marche héroïque dans ses incessantes répétitions martelées. Enfin dans ''Blanik'', montagne de légende où se réfugièrent les combattants hussites défaits en attendant l'heure de la revanche, les fanfares prolongeant le poème précédent laissent place à un passage pastoral aux harmonies envoûtantes et une triomphale péroraison.
Quelle formation symphonique est mieux placée que l'Orchestre Philharmonique tchèque pour interpréter ces musiques au fort pouvoir expressif, au-delà du descriptif. La vraie identité tchèque coule dans les veines de chacun de ses musiciens. Les sonorités dispensées sont somptueuses : rondeur des cuivres, satiné des cordes, subtiles couleurs des bois, notamment à travers les solos, telles les clarinettes de Šárka. Leur chef Semyon Bychkov aborde le cycle avec le plus grand respect de son essence. Le geste est naturel, le sens de l'atmosphère vrai, la palette de nuances parfaitement jugée, sans recherche de l'effet. Les accents ne sont jamais soulignés, même si les tempos peuvent à l'occasion être sur le versant lent comparé aux versions de ses prédécesseurs tchèques comme Kubelik ou Bělohlávek. Le spectre dynamique est large, de l'évanescent pppp à l'éclatant fortissimo, jamais inutilement brillant. En un mot, le ton d'une musique intensément tchèque. Mais aussi une vision qui met l'accent sur la portée universelle du message véhiculé par l’œuvre.
Cette interprétation est magistralement captée dans l'acoustique flatteuse du Dvořák Hall du Rudolfinum de Prague, ménageant un beau relief sur les divers ensembles.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Bedřich Smetana : Má vlast (Ma patrie)
- Orchestre Philharmonique tchèque, dir. Semyon Bychkov
- 1 CD Pentatone : PTC 5187 203 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 81 min 21 s
- Note technique : (5/5)
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