CD : trésors de la musique arménienne pour piano
Il était dans l'ordre des choses que le pianiste Jean-Paul Gasparian se tourne vers les musiciens de son Arménie natale. À travers un florilège d’œuvres qui pour être contrastées, ont un point commun, celui de « l'enracinement dans la tradition populaire », souligne-t-il. De Komitas à Khachaturian, de Babadjanian à Gérard Gasparian, ces musiques portent haut l'âme arménienne.
La musique arménienne offre une « fusion paradoxale entre mélancolie et joie de vivre » car elle est « à la fois le déchirement de la perte et l'ivresse de la danse ». À l'aune de la destinée chaotique et combien tragique d'un peuple que l'Histoire a peu ménagé, mais aussi soudé par son esprit de résistance. Jean-Paul Gasparian débute son récital par des compositions d'Arno Babadjanian (1921-1983), « le Rachmaninov arménien », dira Emil Gilels. Pianiste réputé, comme son confrère russe, Babadjanian a laissé à son instrument des pages mémorables, témoignant de sa grande maîtrise, d'une rare imagination musicale et surtout d'un profond attachement à la culture populaire arménienne. Ainsi Élégie (1978) s'inspire d'un chant du poète troubadour arménien du XVIIIème Sayat-Nova. Tandis que les quatre pièces retenues ici, des années 1939 à 1952, allient lyrisme à fleur de peau (Prélude, Impromptu) et frénésie virtuose (Danse de Vagharshapat, Capriccio). La Sonate polyphonique, de 1947, offre une forme de « modernisme expérimental » sur fond d'inspiration folklorique. Un ''Prélude'' percutant dans sa brièveté laisse place à une ''Fugue'' d'un impressionnant traitement contrapuntique jusqu'à un climax usant de tout le registre du piano, et à une ''Toccata'' frénétique très percussive. Deux pièces de Gérard Gasparian (*1960), père du pianiste, puisent au même poète Sayat-Nova : Ballade (1988) possède la veine polyphonique de Babadjanian dans une imitation tourbillonnante des instruments traditionnels d'Arménie. Et Poème (1889), qui ne renie pas une influence de la musique française, est une méditation puisant là encore dans la tradition populaire.
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Aram Khachaturian (1903-1978) reste sans doute le musicien arménien le plus connu hors de son pays natal. Sa Toccata op.11 (1932), composée alors qu'encore étudiant, et créée par Lev Oborin, offre un Allegro marcatissimo d'entame d'une irrépressible énergie ponctuée d'impressionnants accords, pour un récit jubilatoire dans sa partie Andante espressivo. Du ballet Spartacus (1954), une de ses œuvres phares, est donné un arrangement pour piano de l'Adagio de Spartacus et Phrygia, à l'acte III, d'un lyrisme élégiaque. Enfin, pour un retour aux sources, Jean-Paul Gasparian joue quelques-unes des Six Danses de Komitas. Ce moine musicien et poète (1869-1935) fait figure de père fondateur de la musique arménienne. Écrites à Paris en 1906, elles sont illustratives du patient travail d'ethnologie musicale auquel s'est livré l'auteur, à l'égal d'un Bartók en Hongrie. Celui que Jean-Paul Gasparian considère comme « le symbole même de ce croisement si caractéristique entre musique savante et populaire », s'est attaché à restituer au piano le son des instruments de la musique traditionnelle d'Arménie. Ce qui est palpable ici à travers deux danses de la région d'Erevan et deux autres de celle du Haut-Karabakh : la gaieté collective et la joie de vivre versus le sentiment de fierté au-delà de la mélancolie que peut provoquer la souffrance.
Pour ce nouvel opus sous label Naïve, après un magistral CD Debussy, Jean-Paul Gasparian (*1995) offre des interprétations puisées à la passion du cœur. Le caractère judicieux du choix des œuvres couvrant presque un siècle, et de leur enchaînement trouve son pendant dans l'authenticité de leur exécution. L'intensité du jeu, souvent flamboyant, est toujours empreinte de ce mélange, inhérent à la musique arménienne, d'un « registre affectif souvent élégiaque » et du rythme traduisant « une allégresse irrépressible de gaieté collective ». Elle rejoint le sens de la vision, perçu chez ce pianiste dans Debussy, comme la puissance de ses incursions dans l’œuvre de Rachmaninov. La prise de son au Salon de musique de la Fondation Singer-Polignac à Paris, est d'un beau relief.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Origins''
- Arno Babadjanian : Prélude. Vagharshapat. Impromptu. Capriccio. Sonate polyphonique. Élégie
- Gérard Gasparian : Ballade. Poème
- Aram Khachaturian : Toccata op.11. Adagio de Spartacus & Phrygia (ext. du ballet Spartacus ; arr. pour piano de Emin L. Khachaturian)
- Komitas : 6 Danses (extr.)
- Jean-Paul Gasparian, piano
- 1 CD Naïve : V 8444 (Distribution : Believe Group)
- Durée du CD : 58 min
- Note technique : (5/5)
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