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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : nouvelle version de l'ultime opéra de Rameau, Les Boréades

Cette nouvelle version de la tragédie en musique Les Boréades est un double événement. Elle a été enregistrée à partir de la nouvelle édition réalisée par Sylvie Bouissou dans le cadre de Rameau Opera Omnia, fruit des dernières recherches musicologiques réinterrogeant les pratiques d'interprétation. Elle s'inscrit dans le cadre du vaste projet Rameau mené depuis dix ans par le CMBV avec, entre autres, le chef György Vashegyi. Tutoyant l'idéal, l'album se place au sommet de la discographie.

Achevée en 1763, la dernière tragédie lyrique Les Boréades n'a pas connu de création officielle. Selon les recherches les plus récentes, l'explication réside dans son sujet qualifié de presque subversif, rejeté par la censure. C'est que la trame, conçue par Louis de Cahusac, proclame rien moins qu'un appel à la liberté, illustré dans la phrase prononcée par la Nymphe Orithie à l'acte II « Le bien suprême, c'est la liberté ! ». Une audace qui se concrétise dans cette histoire où une femme, la reine Alphise, courtisée par trois hommes, entend bien choisir celui qu'il lui plaira d'aimer, fût-ce au prix du renoncement au trône. Et celui qu'elle choisit, Abaris, est un homme d'ascendance inconnue, alors que les deux prétendants naturels, Calisis et Borilée, peuvent se targuer de leur appartenance à la lignée officielle, celle de Borée, le dieu du vent. Cette marque d'indépendance de la part de la jeune femme provoque la colère de Borée qui l'enlève et la voue aux pires châtiments. Mais une flèche d'or remise à Abaris par l'Amour permet à celui-ci d'affronter les vents déchaînés de Borée et de délivrer Alphise. L'apparition d'Apollon permettra de révéler qu'Abaris est le fils qu'il a eu d'une nymphe de la lignée de Borée. Et tout finit bien dans l'union souhaitée. De cette trame qui cache à peine la dénonciation de l’abus de pouvoir, se dégage une morale progressiste.

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Construite en arche dont l'acte III est le pivot, la partition mène de l'empire du Bien vers celui du Mal, avant un bienfaisant lieto fine. Essentiel est le côté descriptif de la musique dont les passages de tempêtes en font une des données majeures. Comme le fameux ''Orage, tonnerre et tremblement de terre'' qui clôt l'acte III et amorce le IVème avec l'Entracte ''Suite des Vents'', dans un continuum d'une rare puissance évocatrice. Comme dans la plupart des opéras de Rameau, les divertissements dansés occupent une place essentielle et sont ici encore plus intégrés à l'action. Ils répondent à l'esprit du merveilleux, comme celui de la fin de l'acte II de l'enlèvement de la nymphe Orithie. Ou à une donnée dramaturgique, comme il en est à l'acte IV et ses accents d'initiation franc-maçonnique du personnage d'Abaris. Un exemple de la modernité de l'écriture et de l'audace des harmonies. Le langage musical de l'ultime opéra de Rameau est aussi en avance sur son temps, par une utilisation à la fois des récitatifs simples et des récitatifs accompagnés comme morceaux à part entière, et non comme des préludes aux airs.

Le prestige de la présente interprétation, on le doit d'abord à la direction de György Vashegyi dont on admire l'engagement, la respiration naturelle. Ainsi en est-il dans les passages dansés : gavottes joyeuses, rigaudons enlevés, menuets graciles, agiles contredanses. Le souci des contrastes se retrouve dans l'art de bâtir les moments cataclysmiques, tel l'orage, mêlant orchestre déchaîné, solistes et chœurs affolés, comme lors de la ''Suite des vents'' qui voit les éléments peu à peu s'apaiser. La justesse des accents rejoint le souci du rythme et l'authenticité du style. Par-dessus tout est-on conquis par le raffinement gallique et la sûreté de ton. Il dispose avec son ensemble Orfeo d'une phalange rompue au langage ramiste. Les coloris instrumentaux sont constante source de plaisir, des bois en particulier, jouant parfois en concertino : petites flûtes aériennes et coquines, hautbois piquants, bassons d'une belle faconde, sans parler de la volubilité des percussions aiguës et de la pétulance des tambourins.

La distribution offre le meilleur actuellement pour défendre la tragédie en musique. Les sept artistes réunis possèdent cette suprême qualité de naturel, au plus près des inflexions de cette prosodie si particulière, quant au sens inné du phrasé, délicat sans être précieux, comme à l'aisance dans les ornementations. Les accents généreux de Reinoud van Mechelen dessinent d'Abaris la figure de l'antihéros criant son malheur à en perdre haleine (« Charmes trop dangereux », II/1), puis se posant en rempart contre la toute-puissance de l'ordre établi (« Lieux désolés », IV/2), avant de célébrer la victoire amoureuse (« Que l'amour embellit la vie », V/6). Partout la vocalité est confondante de tenue jusqu'à une quinte aiguë joliment claironnante. Sabine Devieilhe apporte au personnage d'Alphise les prestiges d'un soprano radieux et une vaillance résolue. On mesure combien la fréquentation désormais de rôles de soprano lyriques, comme Susanna au Festival de Salzbourg 2023 juste avant le présent enregistrement, a élargi le spectre vocal comme l'intensité dramatique (« Songe affreux », III/1). Les deux princes prétendants Calisis et Borilée rivalisent d'ardeur : clarté d'émission et belle projection du ténor Benedikt Kristjánsson, déjà présent dans la version de Václav Luks/CVS, baryton agile et superbement articulé de Philippe Estèphe. De sa voix de basse sonore, Thomas Dolié apporte une caractérisation toute d'autorité au dieu Borée. Tassis Christoyannis confère force expressive et souveraine articulation aux deux parties d'Adamas et d'Apollon. Enfin Gwendoline Blondeel défend avec brio les rôles de Sémire, d'Une Nymphe, de l'Amour et de Polymnie. Le Purcell Choir offre pareille éminente prestation quant à la justesse des intonations et à la rectitude de la diction.  

La captation par une équipe technique hongroise dans l'acoustique généreuse de la Salle de concert Béla Bartók du Müpa de Budapest est une réussite. Alors que le rapport entre les diverses composantes, orchestre chœurs et voix, est ménagé avec naturel, ces dernières sont captées avec un extrême relief, même lorsque très exposées dans les ensembles les plus chargés.
Texte de de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • Jean-Philippe Rameau : Abaris ou Les Boréades. Tragédie en musique en cinq actes. Livret attribué à Louis de Cahusac
  • Sabine Devieilhe (Alphise), Reinoud van Mechelen (Abaris), Benedikt Kristjánsson (Calisis), Philippe Estèphe (Borilée), Thomas Dolié (Borée), Tassis Christoyannis (Adamas/Apollon), Gwendoline Blondeel (Sémire/L'Amour/Une Nymphe/Polymnie)
  • Purcell Choir
  • Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi
  • 2 CDs Erato : 5021732372734 (Distribution : Warner Music)
  • Durée des CDs : 61 min 59 s + 85 min 06 s
  • Note technique :  (5/5) 

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