CD : les Capricci de Joseph Dall'Abaco
Dans la voie ouverte par les Suites pour violoncelle seul de Bach, les onze Capricci de Joseph Dall'Abaco démontrent combien l'instrument assume désormais au milieu du XVIIIème siècle sa vraie place de soliste. Curieuse de rareté, la celliste suisse Estelle Revaz en livre une interprétation de haute tenue.
Joseph Clément Ferdinand Dall'Abaco (1710-1805) appartient à une famille de musiciens. Interprète unanimement reconnu à travers l'Europe, où ses pas le mènent de Londres à Vienne ou à Munich, il sera Kapellmeister du Prince électeur de Bavière à Bonn à 29 ans et s'installera à Vérone en 1753, berceau des Dall'Abaco. Également compositeur, il a écrit essentiellement pour son instrument des sonates en solo et ces 11 Capricci datés des années 1770. S'inscrivant dans la lignée des Fantaisies pour basse de viole de Telemann (1735) et bien sûr dans la voie ouverte par les Six Suites pour cello solo de JS Bach (1723), ils sont un parfait exemple de l'avancée des modes de jeu du violoncelle. En élargissant ses possibilités techniques et son potentiel dramaturgique. Au-delà de l'inventivité thématique qui semble ne pas connaître de limites, on y décèle un rare goût pour la recherche instrumentale visant à rendre la viole de gambe aussi polyphonique que possible. Et aussi le goût pour l’improvisation. À travers leur diversité, ces pièces constituent un ensemble cohérent où l'on admire le sens de la construction et le souci de renouvellement d'une œuvre à l'autre. Leur écoute révèle en outre une évolution vers toujours une plus grande liberté.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Les onze caprices présentent des caractéristiques variées. Ainsi des modes empruntés à la danse à la française, comme l'Allemande (Caprice N°2), ou la Courante (Caprice N°6), voire dans le style d'une Toccata (Caprice N°9). Le souci d'improvisation est manifeste, par exemple dans le travail sur le thème d'une aria méditative (Caprice N°4). Le traitement thématique peut l'être de manière dramatique, non sans laisser sourdre une certaine ardeur dans les oppositions dynamiques et la polyphonie complexe (Caprice N°7). L'impression peut être presque théâtrale de par la virtuosité, comme on le ressent dans le onzième caprice utilisant des gestes techniques audacieux, tels jeu en frottements, fin de phrases hachées ou exploration du haut du registre du violoncelle, là encore de manière audacieuse pour l'époque. Le plus étonnant reste le Caprice N°8 en Sol mineur traité comme un scherzo nanti de sauts d'octaves périlleux mais aussi de deux passages enjolivés au médian, évoluant comme un passage en trio.
L'interprète de ces œuvres rares, Estelle Revaz (*1989) possède un cursus peu commun. Celle en qui Gautier Capuçon voit « une musicienne sincère et profonde dotée d'une grande curiosité musicale », s'est formée d'abord dans son Valais natal, puis intègre le CNSMD de Paris et la classe d'un professeur réputé à Cologne. Son engagement personnel la fait aborder aussi une carrière politique durant la période de la pandémie. Elle est élue en 2023 au Conseil National du canton de Genève où elle se fait chantre de la question de la couverture sociale des artistes du secteur culturel. La même année, elle publie une autobiographie qui, sous le titre de ''La saltimbanque'', raconte son parcours et ses combats. « L'archet au poing » titrera le journal Le Temps à propos de l'ouvrage qui décrit sans fard certaines coulisses peu reluisantes du monde musical. Les présentes interprétations sont à l'image de sa personnalité : engagée, dédaignant la facilité dans ses choix de répertoire, à la recherche de l'authenticité, d'une grande liberté de jeu dans le phrasé, assurant à cette somme toute sa diversité, souvent avec panache. Elle joue un instrument prestigieux, un violoncelle de Giovanni Grancino de 1679, mais doté de cordes en métal. Ce qu'elle justifie dans un esprit de recherche et d'innovation. Et que la prise de son, dans une chapelle à Saint-Maurice en Valais suisse, met parfaitement en valeur.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Joseph Clément Ferdinand Barone Dall'Abaco : 11 Capricci pour violoncelle seul
- Estelle Revaz, violoncelle
- 1 CD Solo musica : SM 469 (Distribution : Socadisc)
- Durée du CD : 43 min 27 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
- ACHETER LE CD
Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser
Estelle Revaz, Joseph Clément Ferdinand Barone Dall'Abaco