CD : mélodies et chansons françaises par Benjamin Bernheim
Pour son premier récital avec piano, Benjamin Bernheim choisit naturellement le répertoire français, associant mélodies et chansons. Une audace qui en cache une autre : des versions chambristes de deux piliers du répertoire de la mélodie avec orchestre, puisés chez Berlioz et Chausson. Le tout avec l'immense talent qu'on lui connaît à l'opéra.
C'est avec accompagnement de piano que Berlioz a conçu Les nuits d'été, écrites pour voix de mezzo-soprano ou de ténor. Rien à redire donc, même si nous sommes habitués ici à une voix de femme et à la parure orchestrale. Dans cette version piano, à peine retouchée par Carrie-Ann Matheson, la voix est évidemment plus à nu et la nuance prosodique plus en ligne de mire. Benjamin Bernheim en fait son miel grâce à l'extrême clarté de la diction et un sens inné du texte. Une santé vocale éblouissante, le maniement des silences et surtout l'usage de la voix mixte font le reste. Avec quel art ! Ainsi du ton ensoleillé, glorieusement sonnant dans ''Villanelle'' ou ''L'île inconnue'', là où est lancé avec puissance l'envoi « Dites, la jeune belle... ». Mais aussi du recueillement, quoique dépouillé de tout excès, de ''Le spectre de la rose'' et son séduisant mélodisme, comme du climat de lamento de ''Sur la lagune'' et des contrastes dans le refrain « Que mon sort est amer », ponctué d'un magistral forte sur « Ah ! sans amour s'en aller sur la mer ! », avant un parfait decrescendo final. Tout aussi exemplaires les subtiles inflexions dans l'envoi de ''Absence'', le dernier en voix mixte. Cette technique, parée d'infinie délicatesse, caractérise encore ''Au cimetière''. Le raffinement du chant, qu'enlumine une fière quinte aiguë, trouve dans le pianisme de Carrie-Ann Mathseson soutien confident et attentionné. Mêmes constats pour le Poème de l'amour et de la mer, op.19 de Chausson, quoique la réduction de l'appareil symphonique au seul piano ne trouve pas résultat aussi probant que dans le cycle de Berlioz. Ce drame en miniature, constitué de deux parties séparées d'un interlude, a été conçu pour l'orchestre, lequel enrichit notablement un texte (Maurice Bouchor) loin d'atteindre l'intensité de Théophile Gautier. Le ton impressionniste qu'apportent des harmonies mouvantes s'épanouit peu dans l'accompagnement pianistique, quand bien même la transcription de Carrie-Ann Matheson, et son interprétation, parviennent à restituer une ampleur quasi orchestrale, notamment dans l'interlude. Nonobstant : Bernheim, par son art de la narration et les prestiges d'une riche palette de nuances, parvient à créer l'atmosphère inquiète et rêveuse de la première partie ''La Fleur des eaux'', puis la résignation, l'abattement presque, de la seconde et son climat de marche funèbre, ''La Mort de l'Amour'', dans un long murmure et une péroraison d'une douceur tragique.
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Les quatre mélodies de Duparc sont purs joyaux. Le chanteur s'y affirme comme un diseur de choix de ces sublimes pages poétiques, créant le juste climat. Ainsi de ''L'invitation au voyage'' (Baudelaire), qui voit la première phrase s'enfler comme voile au soleil du matin, et l'envoi « Là tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté » rester d'une habile discrétion. La poétique de ''Extase'', façonnée entièrement mezza voce, comme murmurée à une oreille attentive, en voix mixte, est magique. Comme le naturel de l'énonciation du texte poétique de ''Phidylé'' (Leconte de Lisle), sans aucune préciosité, installant une atmosphère délicieusement langoureuse au médian, avant une fin éclatante. Enfin ''La vie antérieure'' (Baudelaire) montre un sens du récit déclamé d'une rare justesse. Là encore l'accompagnement est tout aussi avisé.
Bernheim conclut le récital, en guise de bis, par trois chansons. Ce qui au concert peut sembler un agréable moment d'apaisement après la tension accumulée, s'avère plus une curiosité au disque. Qu'importe, l'art du ténor trouve là égale manière à s'exprimer. Que ce soit pour ''Les feuilles mortes'' de Kosma, de ''Quand on n'a que l'amour'' de Brel, et bien sûr de ''Douce France'' de Trenet. Le sens du renouvellement comme la montée en intensité confèrent à la célèbre chanson tout son charme.
La prise de son à la Salle Colonne à Paris capte les deux interprètes dans une aura confidente et en parfaite symbiose.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Douce France''
- Hector Berlioz : Les nuits d'été, op.7 (transcr. pour piano de Carrie-Ann Matheson)
- Ernest Chausson : Poème de l'amour et de la mer op.19 (transcr. pour piano de Carrie-Ann Matheson)
- Henri Duparc : L'invitation au voyage. Extase. Phidylé. La vie antérieure
- Joseph Kosma : Les feuilles mortes. Charles Trenet : Douce France. Jacques Brel : Quand on n’a que l'amour (arrangements de Guy-François Leuenberger)
- Benjamin Bernheim (ténor), Carrie-Ann Matheson (piano)
- 1 CD Deutsche Grammophon : 486 6155 (Distribution : Universal Music)
- Durée du CD : 79 min 01 s
- Note technique : (5/5)
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