CD : Christophe Rousset joue les Toccatas de Bach
Christophe Rousset conclut l'exploration des œuvres pour clavier de Bach par les peu connues Toccatas. Une réussite comme il se doit de la part de ce passionné qui ne cesse de remettre sur le métier l'incontournable. Car Bach n'est-il pas « pour le claveciniste un fond de répertoire qu'on n'a jamais fini de travailler ».
Les sept Toccatas BWV 910-916 appartiennent à l'époque dite de Weimar, première période créatrice du Cantor. Elles ne forment pas un cycle à proprement parler, ayant été composées isolément entre 1705 et 1712. Elles sont caractéristiques de la manière dont Bach alors laisse libre cours à la fantaisie et à une grande liberté d'écriture. D'abord peu appréciées, par exemple par Forkel, premier biographe de Bach, qui y voyait des « exercices de jeunesse », la postérité et les recherches récentes ont permis de mieux les situer parmi les autres pièces pour clavier écrites durant cette période et celles postérieures de Cöthen et de Leipzig. Elles sont désormais considérées comme œuvres majeures de cette première période créatrice et comme des jalons importants dans l'histoire de la musique pour clavier. Leur titre de Toccata fait référence aux maîtres allemands du nord, notamment Buxtehude et ses Toccatas pour orgue. En tout cas, s'y manifeste une volonté de se démarquer des formes habituelles et d'intégrer plusieurs styles et influences. Ainsi, la forme du concerto italien est-elle prédominante, associant passages en solo et en tutti, que traversent des sections libres, comme improvisées. Les sept pièces sont de forme soit tripartite (BWV 911/915/916) soit quadripartite (BWV 912/913/914), seule la toccata BWV 910 comprenant cinq mouvements. Cette diversité leur confère une originalité stylistique certaine, associée à de notables oppositions rythmiques.
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Ainsi, s'agissant des modèle tripartites, la Toccata BWV 911 en Ut mineur fait se succéder, après une courte introduction libre, un arioso introspectif, une fugue brillante suivie d'une cadence préludant à une curieuse réapparition de la fugue. La particularité de la Toccata BWV 916 en Sol majeur est de voir ses trois parties nettement différentiées : un Presto dont le thème est traité en forme de ritournelle dans un effet presque orchestral, un Adagio dont le cantabile fait penser à une sonate en trio de Corelli, enfin un Allegro fugué en forme de gigue allègre. Pour ce qui est du modèle quadripartite, on citera la Toccata BWV 914 en Mi mineur, sans doute la plus intéressante de l'ensemble, associant sections tour à tour méditative et virtuose, cette dernière avec ses ruptures de rythme, et que conclut une fugue à trois voix. La Toccata BWV 912 en Ré majeur reflète encore l'influence italienne avec un Allegro déclamatoire de forme concertante, un Adagio qui après un point d'orgue, bascule dans un Presto, lui-même cédant la place à une fugue très animée.
À travers ces œuvres finalement très diversifiées, Christophe Rousset laisse libre cours à toute son expertise : l'art de la narration dans les passages improvisés, comme la rigueur de l'interprétation des diverses sections formelles, dont les complexes fugues. Magistral encore le souci de contraster les couleurs qu'il tire de l'instrument joué, un clavecin allemand anonyme des années 1750 à la chaude sonorité et à la mécanique très flexible. Magnifiquement capté par l'équipe de Nicolas Bartholomée à l'Hôtel de l'industrie à Paris ; comme il en fut récemment pour L'Art de la fugue.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Johann Sebastian Bach : Intégrale des Toccatas BWV 910-916
- Christophe Rousset, clavecin
- 1 CD Aparté : AP 275 (Distribution : [Integral])
- Durée du CD : 68 min
- Note technique : (5/5)
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