CD : Elisabeth Leonskaja rencontre Schoenberg, Berg & Webern
Illustre interprète des répertoires classique et romantique, Elisabeth Leonskaja se tourne vers la Seconde École de Vienne. Sa lecture des pièces pour piano de Berg, Webern et Schoenberg est frappée au coin de la plus grande lisibilité textuelle, contribuant à l'accessibilité d’œuvres réputées ardues.
Le programme débute par la Sonate pour piano op.1 de Berg. Composée entre 1907 et 1909, à partir de la tonalité de Si mineur, là où se révèle rapidement une instabilité tonale, elle est faite d'un seul mouvement, manifestation parfaite du triptyque exposition, développement, récapitulation. Dans son ouvrage ''Alban Berg, le maître de la transition infime'', Theodor W. Adorno en décrit « l'idée formelle » : « il s'agit, dans un espace réduit à l'extrême, d'obtenir à partir d'un matériau motivique minimal un foisonnement de caractères thématiques, et en même temps d'inscrire ces derniers dans une unité rigoureuse ». L'exécution d’Elisabeth Leonskaja résout les apparentes contradictions que contient cette musique : l'austérité du matériau et sa richesse thématique, traitées par un usage intense du chromatisme. Son dramatisme surtout, que produit l'alternance d'élan dynamique, moments de presque exaltation, et de reflux, de retombées comme des phases de dépression. Elle montre une réelle préoccupation du chant et une volonté de clarté textuelle, qui rendent cette musique immédiatement accessible. Quelque trente ans plus tard, en 1936, Anton Webern livre ses Variations pour piano op.27, sa seule œuvre laissée au clavier. Ce qui apparaît comme des variations sans thème précis offre une écriture fragmentée et constitue un sommet de dépouillement, de presque nudité sonore. Le langage sériel, hérité de Schoenberg, conduit à un mélange curieux d’ascèse et de lyrisme dans trois morceaux : le premier en forme miroir, dont la partie centrale est plus animée, le deuxième vif et violent, le dernier enchaînant six variations de plus en plus complexes. Des voies déroutantes que la pianiste conduit à la cohérence.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Arnold Schoenberg, le maître des deux autres musiciens, a composé à plusieurs reprises pour le piano solo. Ces œuvres réunies en cinq recueils sont autant d'étapes essentielles témoignant de son évolution stylistique, depuis la phase non tonale, avec les opus 11 & 19, à celle de la série dodécaphonique (opus 23, 25 & 33), et dans tous les cas de sa volonté d'instaurer un nouveau langage pianistique, d'une forme d'expérimentation qui a constitué le principal apport de ce compositeur. Elisabeth Leonskaja a choisi de présenter trois de ces cycles. Les 3 Stücke (Trois Pièces) op.11, de 1909, révisées en 1924 (version jouée ici), montrent d'emblée une extrême densité de l’écriture. Schoenberg se détache de l’univers tonal du post-romantisme, montrant une évidente volonté de rupture à travers un langage contrasté utilisant un extrême chromatisme. La pianiste y fait montre d'une volonté de rendre abordable un langage peut-être hermétique au profane. Les 6 Kleine Kavierstücke (Six Petites pièces pour piano) op.19, de 1911, contemporaines de la vaste fresque chorale des Gurrelieder, montrent une volonté d'expressivité que n’empêche pas la raréfaction de la matière sonore. Car ces miniatures totalisent plus ou moins cinq minutes. Ces aphorismes musicaux, Leonskaja les distille avec une rare maîtrise des divers modes d'écriture qui confinent parfois à l'ésotérisme. Avec la Suite op.25, de 1921/1923, alors que Schoenberg a achevé la mutation vers le dodécaphonisme, l'approche est bien différente. L’œuvre emprunte formellement au schéma de la suite de danses baroque, illustration paradoxale d'un nouveau néoclassicisme chez le musicien, fervent admirateur de JS Bach ; outre une pièce (V. Intermezzo) empruntée au vocabulaire brahmsien. Là encore Elisabeth Leonskaja joue ces neuf pièces, conçues d'un seul tenant, en ménageant les contrastes dynamiques, avec oppositions marquées entre grave et aigu du clavier, et les cheminements parfois intrigants de bribes de discours. Comme il en est de l'enchaînement de deux Menuets entrecoupés d'un Trio allant, quasi propulsif, ou de la fulgurante Gigue finale, extrêmement animée d'où surgit soudain et de manière fugace un trait quasi tonal au sein d'un tissu aride.
Ces interprétations sont servies par une prise de son superlative à la Sendesaal de la radio de Brème : immédiateté et naturel de la captation du Steinway dans tout le formidable panel dynamique qu'imposent des œuvres qui ont révolutionné le répertoire.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Alban Berg : Klaviersonate op.1
- Anton Webern : Variationen für Klavier op.27
- Arnold Schoenberg : 3 Stücke op.11. 6 Kleine Klavierstücke op.19. Suite op.25
- Elisabeth Leonskaja, piano
- 1 CD Warner Classics : 5021732288264 (Distribution : Warner Music)
- Durée du CD : 60 min 07 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
- ACHETER LE CD
Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser
Alban Berg, Arnold Schoenberg, Elisabeth Leonskaja, Anton Webern