CD : Iphigénie en Aulide de Gluck
Voici enfin le premier enregistrement d'Iphigénie en Aulide de Gluck sur instruments d’époque. Et la première incursion de Julien Chauvin et de son Concert de la Loge dans le genre opératique. Pour une interprétation de haute tenue.
Pour son premier opéra français, créé à l'Académie royale de musique en 1774, Gluck fait choix du mythe d'Iphigénie, immortalisé par la tragédie de Racine un siècle plus tôt, elle-même inspirée d'Euripide. Le livret simplifie l'action à l'essentiel. C'est pour satisfaire à la volonté des dieux, de Diane en l'espèce, qu'Agamemnon doit sacrifier sa fille Iphigénie, pour lever des vents favorables à l'expédition de la flotte grecque vers Troie. Dessein que subit la princesse, mais auquel s'opposent sa mère Clytemnestre et son prétendant Achille. Un lieto fine empêchera cette issue fatale. La tragédie lyrique frappe par sa concision : le thème du conflit entre amour paternel et devoir de roi, entre ce qu'inspire la nature et impose la gloire, est soutenu par quatre personnages principaux, chacun tiraillé par des sentiments contradictoires, mais sachant évoluer devant les événements. Agamemnon, le roi des rois, effrayé par l'ukase lui ordonnant d'immoler sa fille, prêt à y renoncer par fibre paternelle, est soumis au devoir d’État et à la volonté du peuple. Achille, confronté à un amour aussi sincère qu'exigeant, est confronté à la résistance de sa promise. Iphigénie est partagée entre cet amour profond et le souci de ne pas offenser un père, fût-il agent de mort. Clytemnestre qui d'abord presse Iphigénie de renoncer à Achille, prend le parti de la préserver d'une mort sacrificielle, s'opposant à son époux Agamemnon.
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La présente interprétation, fruit des recherches menées par le chef Julien Chauvin et Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV, vise à revenir aux sources, singulièrement au manuscrit de la première représentation parisienne de 1774. Ainsi afin de préserver l'intensité dramatique, les danses ont-elles été drastiquement réduites, notamment celles au finale de l'acte III. Par ailleurs, a-t-on cherché à s'inspirer de la manière de chanter et d'assumer leur personnage des interprètes de cette première. Ainsi de celui d'Iphigénie, appelant « une dignité noble et retenue », et expressivité dans la déclamation pathétique. Ce qui doit contraster avec celui de Clytemnestre, exigeant « un caractère emporté, une émission franche et un timbre éclatant ». Côté masculin, la figure d'Achille, alors défendue par le fameux haute-contre Joseph Legros, demande aussi bien « vaillance et brillance dans les airs à vocalises qu'expressivité contenue dans les moments de tendresse », car celui-ci évolue entre l'homme amoureux et le héros qui pour s'opposer au destin funèbre de l'aimée, n'hésite pas à s'opposer frontalement au roi Agamemnon. Celui-ci requiert personnification « autoritaire mais non dépourvue de subtilité », et ainsi, comme son créateur, un timbre de baryton noble. Tandis que Calchas suppose de par son personnage inflexible de grand prêtre, « une voix âpre et sonore », apanage de cette sorte d'emploi.
Toutes ces caractéristiques sont justement assumées par la distribution réunie. Avec une voix d'un souffle et d'un moelleux confondants, Tassis Christoyannis dessine la dualité fondamentale d'Agamemnon, en proie au conflit que l'on sait, mais aussi de l'homme jouet du destin, comme dans son Ier air ''Peut-il ordonner qu'un père'' (I/3), et surtout durant la formidable scène finale de l'acte II, lorsque le roi-père fend l'armure (''Ô toi, l'objet le plus aimable''), point de bascule du drame. L'inflexibilité de Calchas, ordonnateur des volontés divines, trouve son parfait interprète dans la voix sonore de Jean-Sébastien Bou. Stéphanie D'Oustrac, Clytemnestre, offre caractère autoritaire, volontairement exacerbé, mais montrant l'évolution du personnage depuis l'air enflammé ''Armez-vous d'un noble courage'' (I/6), à la prière ''Par un père cruel'' (II/4), nanti de son solo de hautbois, enfin à la scène du dernier acte et l'air agité ''Jupiter lance la foudre'', où s'exprime toute la fureur du désespoir. Cyrille Dubois trace d'Achille un portrait attachant à travers un nuancier interprétatif et vocal assuré : mordoré du timbre de ténor léger, proche du haute-contre, dans ''Cruelle, non jamais'' (I/8), glorieuses vocalises colorature de ''Chantez, célébrez votre reine'' (II/3), accents farouches dans la joute avec Agamemnon. Judith van Wanroij, après un début discret (''Parjure, tu m'oses trahir'', I/7), prend vite de l’assurance pour atteindre l'émotion du déchirant renoncement (''Adieu, conservez dans votre âme'', III/3) où la chanteuse, dans le registre mezza voce, fait merveille.
Tous, ainsi que les chœurs (magistraux Chantres du CMBV), sont soutenus par la direction de Julien Chauvin qui pour sa première intégrale d'opéra, signe une indéniable réussite à la tête de son Concert de la Loge. Justesse des accents, maintien de l'intensité dramatique, soutien des chanteurs dans le souci d'un phrasé préservant une certaine énergie, comme d'appogiatures évitant toute lourdeur, permettent d'assurer des enchaînements naturels et vivants entre partie récitative et air, césure qui dans cette partition tend à s'estomper. Le refus de toute manière pompeuse et le choix de tempos plutôt vifs, notamment dans les passages dansés, rendent toute sa force à la fluidité de l'élocution gluckiste. Tous moyens célébrant l'esprit de renouveau voulu par Gluck dans le paysage lyrique de l'époque.
La prise de son à la Cité de la musique de Soissons possède relief et un équilibre satisfaisant entre voix et orchestre, même si les forces chorales restent placées au second plan.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Christoph Willibald Gluck : Iphigénie en Aulide. Tragédie-Opéra en trois actes. Livret de François-Louis Gand Le Blanc Du Roullet
- Judith van Wanroij (Iphigénie), Stéphanie D'Oustrac (Clytemnestre), Cyrille Dubois (Achille), Tassis Christoyannis (Agamemnon), Jean-Sébastien Bou (Calchas), David Witczak (Patrocle/Arcas/Un Grec), Anne-Sophie Petit (La première grecque), Jehanne Amzal (La deuxième grecque), Marine Lafdal-Franc (La troisième grecque)
- Les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles, Fabien Armengaud, directeur artistique et musical
- Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin
- 2 CDs Alpha : Alpha 1073 (Distribution : Outhere Music)
- Durée des CDs : 115 min 49 s (TT)
- Note technique : (5/5)
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