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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : deux cycles de 24 Préludes, de Chopin et de Scriabine

À travers le titre « Songes dorés », qu'inspirent à Liszt les Préludes de Chopin, la pianiste Fanny Azzuro met ce cycle pianistique en perspective avec celui écrit quelque cinquante ans plus tard par Scriabine. Singulier rapprochement en forme d'hommage de l'un à l'autre. Et une étonnante occasion de mesurer combien l'évolution de la facture instrumentale a permis, dans la seconde moitié du XIXème siècle, un net enrichissement du spectre sonore du piano.

Il y a a priori peu de choses en commun entre les deux cycles quant aux styles musicaux. Le jeune Chopin d'à peine la trentaine y confesse ses plus intimes pensées, combien contrastées comme l'est la vie. Alors que son tout aussi jeune successeur Scriabine expérimente et cultive une forme d'ésotérisme qui le conduira vers les contrées paroxystiques que l'on sait dans le domaine symphonique. Les réunir participe d'une démarche aussi didactique qu'audacieuse. Il y a chez l'un et l'autre « l’urgence d'une quête fondamentale exaltée, si proche de la foi, car tous deux pressentent qu'ils ne vivront pas vieux », souligne Fanny Azzuro.

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Dans ses 24 Préludes op.28, écrits en 1838 et 1839, Chopin, qui entend se placer dans la lignée des Préludes et fugues de JS Bach, se révèle le maître de l'équilibre, du phrasé, de l'accent et bien sûr de l'inspiration romantique. L’admiration de ses contemporains est unanime, de Liszt filant la métaphore des ''Songes dorés'' et louant « la libre et grande allure qui caractérisent les œuvres de génie », comme de Schumann y voyant « des esquisses, des plumes d'aigles follement mêlées, une écriture raffinée, perlée ». Ce qui n'a d'égal que les commentaires laudateurs de ses grands interprètes, dont Cortot qui les tenait en haute estime au point d'imaginer un sous-titre à chacun des morceaux. On ne tarit pas d'éloges sur le caractère très élaboré de la structure du cycle, comme devant l'économie de moyens présidant à son écriture au service de la beauté de la ligne mélodique, de sa transparence, là où « il y faut chercher la légèreté et, plus encore, l'art du chant », remarque Fanny Azzuro. Comme dans le Prélude N°17, « romance sans parole, ou plutôt chant d'amour exalté, persuasif heureux » (Bernard Gavoty). L'élégiaque (N°6) y fait pendant au plaintif (N°4). Le solennel (N°9, ''Voix prophétiques'' selon Cortot), côtoie l'idée de chevauchée (N°12) ou une sorte de course à l'abîme (N°16). Toute cette immense gamme d'émotions contribue à l'absolue cohérence du recueil.     

Alexandre Scriabine a beaucoup écrit pour le piano, en particulier plus de 80 préludes réunis en des cycles d'inégale importance. Les Préludes op.11, composés entre 1888 et 1896, figurent parmi ses plus élaborés et sont considérés comme marquant un tournant dans sa production, vers la maturité et l'affirmation de sa manière esthétique : la forme brève, un matériau condensé à l'extrême. L'étonnante brièveté des pièces, certaines n'excédant pas la minute d'horloge, cultive cet art de l'aphorisme que le compositeur russe poussera à l'extrême dans ses œuvres postérieures. Reste que l'hommage à Chopin est indéniable, ne serait-ce que dans leur architecture calquée sur le modèle, savoir l'ordre des tonalités majeures et mineurs. Il est souvent presque mimétique. Ainsi le Prélude N°9 voit-il une citation de la Ballade N°1 de Chopin, le 16ème, ''Misterioso'', rappelle la Sonate N°2, dite ''funèbre''. Mais la recherche d'unité n'est pas aussi aboutie : si les premiers préludes offrent une cohérence quant à la fluidité d'écriture, l'inspiration vient parfois à pâlir, notamment dans la seconde partie, où la recherche des moyens pour s'inscrire dans les pas de Chopin conduit à l'effort, à une forme d'ésotérisme. Les libertés prises vis-à-vis du modèle génèrent, certes, des pages de grande intensité, mais aussi à un art inégal de la narration. Reste que cette littérature ne manque pas d'attrait. Fanny Azzuro remarque d'ailleurs que « l'univers de Scriabine est sans cesse en expansion ». On le mesure tant à la puissance rythmique (Préludes 1, 6, 14, 18), à la recherche harmonique (N°8 ''Agitato'', N°19 ''Affetuoso''), qu'à ce qu'on pourrait appeler une inspiration au bord du rêve (Préludes Nos 13, 15, 17). Souvent est-on confronté à d'étonnantes oppositions de climat : de l'éclat pouvant confiner à la violence, au raffinement de la miniature, de la berceuse à la marche héroïque.

Dans ses interprétations, la pianiste d’origine italienne Fanny Azzuro s'attache à la clarté des lignes et offre une large palette de nuances au long de ces 48 pièces. Quant à leurs différences en termes de coloration, dont « l'univers saturé de couleurs de Scriabine », mais aussi quant à un habile maniement du silence, si important chez chacun des musiciens, porté plus encore à la brièveté chez Scriabine. Et bien sûr s'agissant de cette composante du chant, sous-jacente dans bien des pièces, pas seulement de Chopin. Il s'en dégage aussi un sentiment d'urgence, parfois d'exaltation, et une belle énergie, privilégiant de larges écarts de dynamique. Singulièrement dans Chopin, qui voit plus d'une pièce être jouée sur le versant percussif. La pianiste s'avère paradoxalement plus mesurée dans les Préludes de Scriabine, dont elle assure avec brio les difficultés techniques. La captation de très près du piano Yamaha, libérant notamment une importante résonance de basses, n'est sans doute pas étrangère à l'impression ressentie d'une plus grande proximité de l'interprète pour l'idiome de Scriabine qu'avec la poétique de Chopin.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • ''Golden dreams''
  • Alexandre Scriabine : 24 Préludes op.11
  • Frédéric Chopin : 24 Préludes op.28
  • Fanny Azzuro, piano
  • 1 CD Naïve : V8449 (Distribution : Believe Group)
  • Durée du CD : 66 min
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile grise (4/5) 

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Alexandre Scriabine, Frédéric Chopin, Fanny Azzuro

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