CD : pages méconnues du violoncelle français
C'est à la celliste Astrig Siranossian que l'on doit ce merveilleux disque de musique de chambre française regroupant trois sonates pour violoncelle. Dont deux premières au disque. Des partitions qui méritent la lumière et non plus l'invisibilité.
Le marin Jean Cras (1879-1932) ne cessa de composer au long de sa carrière. À 22 ans, jeune officier de marine, il écrit sa Sonate pour violoncelle et piano (1901), une parmi ses nombreuses œuvres chambristes, qui lui valut l'amitié d'Henri Duparc. De vastes proportions, le climat en est intensément lyrique, même si parcouru d'un sentiment de gravité. Elle montre la maîtrise de l'écriture pour chacun des deux instruments. Comme jaillissant, l’Allegro débute en un tourbillon qui s'apaise pour installer un chant lyrique non exempt de fièvre et de climax au violoncelle sur l'accompagnement extrêmement ouvragé du piano. Introduit par celui-ci, l'Adagio déroule la mélodie du cello, d'abord discrète puis montant en intensité en une modulation chaleureuse. Un réchauffement de lyrisme passionné, au médian, semble décrire avec solennité l'immensité de l'horizon océanique. Le finale Vif figure une libre digression aussi bien animée qu'admirablement dosée entre les deux voix. Une section plus animée reprend la fièvre du début de l’œuvre, tandis que la péroraison revient au climat lyrique et grave du deuxième mouvement.
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Pierre-Octave Ferroud (1900-1936), chantre de la musique pure, contribua au développement de la musique de chambre. Il est à l'origine du mouvement appelé Triton, fondé en 1932 et réunissant compositeurs français et étrangers. Sa Sonate en La mineur pour violoncelle et piano composée la même année, dédiée à Serge Prokofiev, sera créée en 1933 par Marcel Maréchal et Robert Casadesus. Elle ne comporte pas de mouvement lent, remplacé par un Allegretto médian. Cet Intermezzo poursuit, avec sa mélodie sinueuse, un séduisant premier mouvement, Capriccio, d'une veine néoclassique et empreint de fantaisie dans sa souple rythmique et ses effets de surprise dans certains traits du violoncelle. Le Rondo-molto vivace final offre un discours équanime et léger, proche de Prokofiev et de sa virtuosité.
Élève de Nadia Boulanger, Marcelle Soulage (1894-1970), devenue elle-même enseignante puis productrice d'émissions de radio, a à son actif une carrière enviable de compositrice, notamment de musique de chambre. Elle sera l'une des créatrices du Groupe Instrumental Féminin au début des années 1950. Elle écrit sa Sonate en Fa dièse mineur pour violoncelle et piano en 1919. Invention mélodique et sensibilité caractérisent une œuvre parfaitement équilibrée. Un vaillant Allegro moderato livre un dialogue serré entre les deux instruments. Un Nocturne en forme de cantilène quelque peu mystérieuse au violoncelle, sur un accompagnement mobile du piano, progresse en intensité avant un decrescendo d'une beauté étrange. L'Allegro vivo conclut de sa rythmique accidentée et enflammée une œuvre qui, elle aussi, mérite d'être tirée de l'ombre.
Elle l’est grâce à l'art d'Astrig Siranossian qui en livre, comme des deux autres pièces, des interprétations tour à tour flamboyantes et réfléchies, grâce à la généreuse sonorité que prodigue l'instrument joué, un violoncelle du luthier Gennaro Gagliano, de 1756, ayant appartenu au chef Sir John Barbirolli. Nathanaël Gouin déploie un accompagnement aussi sensible qu'attentif sur un piano Steinway de 1907. Les deux instruments sont captés avec relief dans le Salon Gustav Mahler de la Bibliothèque La Grange-Fleuret à Paris, achevant de marquer cet album d'une pierre blanche.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Invisibles''
- Jean Cras : Sonate pour violoncelle et piano
- Pierre-Octave Ferroud : Sonate en La mineur pour violoncelle et piano
- Marcelle Soulage : Sonate en Fa dièse mineur pour violoncelle et piano
- Astrig Siranossian (violoncelle), Nathanaël Gouin (piano)
- 1 CD Alpha Classics : Alpha 1085 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD: 64 min 21 s
- Note technique : (5/5)
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