CD : la Sixième symphonie de Mahler, inéluctable cheminement vers la catastrophe ?
![](/templates/yootheme/cache/b2/SimonRattle_Mahler-b25407c9.jpeg)
Cette captation de concert est l'occasion de mesurer à nouveau l'attachement du chef Simon Rattle pour la musique de Mahler, maintes fois remise sur le métier durant ses mandats successifs à Birmingham, Berlin, Londres et maintenant Munich. La Sixième symphonie reçoit une exécution aussi vibrante qu'incandescente avec un orchestre qui depuis des lustres possède comme peu cet idiome.
Alors qu'il achevait en 2018 son mandat à Berlin avec la Sixième symphonie, comme il avait débuté trente ans auparavant in loco à la tête du prestigieux orchestre, c'est toujours par une exécution de cette même œuvre que Simon Rattle inaugurera sa tenure à Munich en 2023. Autant dire que cette symphonie, dite ''tragique'' (1906), participe pour lui d'une forme de manifestation du destin. Autre pierre à l’édifice du travail de comparaison, déjà entamé lors de la parution des deux précédentes interprétations berlinoises, cette nouvelle vision est riche d’enseignements. Dans cette interprétation, nul doute fruit d'intenses réflexions, Rattle propose une lecture extrêmement fouillée dans ses formidables contrastes, galvanisant un orchestre, celui de la Radio Bavaroise, dont on sait, depuis les légendaires visions de Rafael Kubelik des années 1960/1970, qu'il est une formation incontournable dans ce répertoire. Le caractère de ''tragique'', Rattle le décline tel un cheminement vers la catastrophe, à travers une puissante tonicité. Mais cette indomptable énergie n'est pas désespérée. La vision, qui n'échappe pas à un corps à corps tendu avec un immense matériau sonore, sait laisser place à des plages d'optimisme à travers un lyrisme d'une suprême beauté.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Ainsi l'Allegro energico, de son rythme de marche piétinante aux cordes basses, s'affirme-t-il sans rémission, telle une sorte d'armée en ordre, manifestation d'une obsession rythmique propulsive, d'une densité de violence proche de la suffocation. Après ce tumulte, le second thème évoquant Alma Mahler tranche par son aspect mélodieux, presque bucolique avec l'appui, non souligné ici, des percussions inhabituelles comme les cloches de troupeau. Le développement convoque divers états émotionnels, de l'aspiration mystique vers quelque ailleurs idyllique à la terreur, de la passion au désespoir. Le retour du tempo I est encore plus déterminé, désormais impitoyable, jusqu'à la coda tempétueuse, hyper animée, et sa conclusion abrupte.
Alors qu'est ici adopté l'ordre conçu à l'origine par Mahler, l'Andante moderato forme une halte heureuse, intermède pacifié. Après les déferlements du premier mouvement, Rattle en fait un Lied apaisé et apaisant, par un tempo confortable, presque adagio. Quelques ralentissements, habituels chez le chef anglais, laissent une impression de suavité, nullement langoureuse, renforcée par le choix d'une dynamique restreinte. La patine de l'orchestre est à son meilleur, dont le traitement misterioso du hautbois. Après diverses modulations, la décantation sonore jusqu'au silence revêt un caractère hypnotique. Le Scherzo, marqué ''Wuchtig'' (pesant), évoque divers aspects de terreur, avec la reprise du rythme de marche, mêlé désormais à la tonalité lugubre des cordes et des percussions piaffantes, dont les martèlements de la grosse caisse. Le Trio et sa danse légère, façon de menuet, presque humoristique dans ses accélérations et décélérations calculées, en apparaissent presque démoniaques.
Le finale Allegro moderato, le chef en modèle puissamment la dramaturgie colossale au fil de ses phases successives. Dès les premières mesures, s'impose ce qui va constituer le triomphe des ténèbres, au gré d'une fabuleuse montée en puissance emplie de caractère inquiétant. L'animation du tempo, alors que les masses s'entrechoquent dans ce qui ressemble à un rude corps à corps, est brusquement interrompue par une séquence plus avenante, que le rythme martial tente de contrecarrer. La dynamique qui jamais ne se relâche, dans des crescendos intenses, culminera par deux fois dans le brutal et fameux coup de marteau. Comme un aboutissement, la coda incisive et urgente conduit à un ultime sursaut d'accords sombres de cuivres, amenant par un magistral diminuendo, au dernier et fatal accord fff, lâché comme une décharge électrique. Là encore, l'adrénaline du concert aura fait son office et magnifié le souffle d'une interprétation grandiose.
La prise de son dans la salle de l'Isarphilharmonie de Munich offre un large spectre, du fff tonitruant au ppp envoûtant, et ménage une naturelle profondeur de champ pour les divers groupes d'instruments. La ligne de basses, bien présente, n'est justement pas soulignée. Un modèle de captation live.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Gustav Mahler : Symphonie N°6 en La mineur
- Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, dir. Sir Simon Rattle
- 1 CD BR Klassik : 90217 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 82 min 02 s
- Note technique :
(5/5)
CD disponible sur Amazon
- ACHETER LE CD
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser
Gustav Mahler, Sir Simon Rattle, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Commentaires (0)