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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : l'univers d'Erik Satie selon Alain Planès

Pour célébrer l'année Satie, Alain Planès, un de ses interprètes essentiels, propose un choix d’œuvres qui lui sont chères. Un univers fascinant se révèle au fil de pages parmi les plus originales du maître d'Arcueil, où le second degré reste maître du jeu. 

Personnage énigmatique, provocateur à son corps défendant, Erik Satie reste un musicien inclassable. Ses compositions pour le piano cultivent l'art de l'énigme, la volonté de ne rien dire explicitement par souci de couper court à tout commentaire plus que par volonté de dérouter. Elles connaissent plusieurs périodes : les premiers morceaux épurés des années 1880/1890, puis les pièces expérimentales correspondant à sa période dite mystique, enfin la grande énergie créatrice des œuvres humoristiques décomplexées. Mais une constante les réunit sans doute : des structures brèves, souvent sans apparente progression, déployées en trois séquences dont celle médiane creuse en profondeur. Dans son programme, Alain Planès propose un choix personnel parmi ces nombreuses pièces, abordées ici selon un angle pour une large part chronologique.

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Après avoir débuté par l'hypnotique Valse ballet (1887), il s'attaque aux Gymnopédies et aux Gnossiennes. Beaucoup a été écrit sur les 3 Gymnopédies (1888), curieuses valses lentes à trois temps, d'une indicible monotonie : trois aspects différents d'une même idée. Les 5 Gnossiennes, écrites sans barre de mesure, réservent le même potentiel de monotonie, un charme berceur sur un rythme binaire, proche de l'état obsessionnel, ce que Vladimir Jankélévitch qualifie de « temps immobile ». On sait leurs étranges indications de jeu (''Du bout de la pensée'', ''avec étonnement'').  Avec les Pièces froides (1902), dont est donnée ici le premier set ''Airs à faire fuir'', Satie, sans abandonner le rythme binaire des Gnossiennes, le ménage de manière plus vive et syncopée. Les Trois morceaux en forme de poire pour piano à quatre mains (1903), qui sont en réalité au nombre de sept, mêlent allègrement en un étonnant kaléidoscope les diverses manières précédentes, ajoutées à une touche music-hall et assaisonnées de mélismes orientaux. Un intarissable jaillissement.

Dans Embryons desséchés (1913), le musicien entraîne l’auditeur dans un insolite récit au énième degré. En caricaturant, entre autres, Chopin et sa marche funèbre, il raille tous ceux qui se prennent au sérieux. Mais derrière le sarcasme, perce une donnée autobiographique, l'angoisse de Satie. Chapitres tournés en tous sens, de la même année, cultivent un art savant de la vraie fausse musique à programme : à partir de citations d'airs populaires français, il faut décoder et faire la part entre réalisme et sarcasme. Avec les trois pièces constituant Avant-dernières pensées (1915), Satie fend l'amure, car ces « trois allégories sur lui-même » (Jean-Pierre Armengaud, ''Erik Satie'', Fayard), dédiées respectivement à Debussy, Dukas et Roussel, laissent une impression de malaise : l'humour noir masque à peine la réalité d'une confession de la détresse du ''vieux clown''.

Afin d'introduire un contraste vocal, Planès inclut les Trois mélodies (1916) : du piquant (''La statue de bronze'') à la parodie d'un duo de la Mireille de Gounod (''Le Chapelier''), en passant par le plaisant ''Daphénéo'', merveille de fausse ingénuité enfantine, de naïveté raffinée. Le programme se termine, tout comme il avait débuté, par une pièce plus joyeuse, Je te veux (1903), jolie valse sentimentale, façon cake walk.

Qui mieux que le grand pianiste français pour jouer ces musiques. Non aux fins de les décortiquer, mais simplement pour leur faire dire ce sur quoi Satie voulait à tout prix qu'on ne disserte pas. Sur un magnifique Pleyel de 1928, au grave chaud et à l'aigu net, il fait résonner ces pages avec un sens infaillible de l'équilibre entre immobilisme et subtile expression. Un goût jamais pris en défaut. Comme il en est de l'accompagnement des trois pièces vocales, là où la partie de piano s'avère aussi essentielle que le chant lui-même, magistralement distillé par Marc Mauillon, habile diseur. Du grand art. Saisi à Royaumont dans le salon de musique, le résultat est proche et intimiste. Tout pour rendre évident ce que la poétique de Satie possède de magique.
Texte de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • ''Satie-Planès''
  • Erik Satie : Pièces pour piano (Valse triste. Gymnopédies. Gnossiennes. Pièces froides, Ière partie : Airs à faire fuir. Embryons desséchés. Chapitres tournés en tous sens. Avant-dernières pensées. La diva de l'Empire. Je te veux)
  • Trois morceaux en forme de poire, pour piano à quatre mains
  • Trois mélodies (1916)
  • Alain Planès (piano)
  • Avec Marc Mauillon (baryton) et François Pinel (piano)
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902749 (Distribution :[PIAS])
  • Durée du CD : 70 min 24 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

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