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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : ''Nuits'', mélodies françaises orchestrées

Veronique Gens Nuits

  • ''Nuits''
  • Œuvres de Guillaume Lekeu, Gabriel Fauré, Hector Berlioz, Jules Massenet, Camille Saint-Saëns, Ernest Chausson, Guy Ropartz, Marcel Louiguy, Reynaldo Hahn
  • Pièces orchestrées de Fernand de La Tombelle, Franz Liszt, Charles-Marie Widor
  • Transcriptions : Alexandre Dratwicki
  • Véronique Gens, soprano
  • I Giardini : Shuichi Okada, Pablo Schatzman, violon, Léa Hennino, alto, Pauline Buet, violoncelle, David Violi, piano
  • 1 CD Alpha : Alpha 589 (Distribution : Outhere Music), en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane
  • Durée du CD : 61 min 41 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

Ce nouveau récital de Véronique Gens s'inscrit dans le cadre des travaux menés par le Palazzetto Bru Zane de réhabilitation de la mélodie française orchestrée du XIXème. Sa thématique, la nuit, a un indéniable pouvoir attractif. D'autant que le bouquet de pièces soigneusement choisies est interprété avec le goût infini et l'émotion que sait y apporter la grande cantatrice française. À découvrir. 

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Le propos du programme est triple, selon Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Palazzetto Bru Zane : « élargir le répertoire pour voix, cordes et piano, proposer une lecture originale d'œuvres bien connues et mettre en lumière quelques pépites oubliées ». Le thème de la nuit, et du « cheminement sentimental » qu'elle évoque, est décliné en quatre entrées : ''Crépuscule. Nuit d'amour'', ''Rêve. Nuit d'ailleurs'', ''Cauchemar. Nuit d'angoisse'' et ''Ivresse. Nuit de fête''. Les arrangements, pour voix et la formation réduite d'un quintette pour piano, ont été réalisés dans le souci d'alléger la texture d'accompagnement pour mettre en valeur la voix et d'éviter de l'y  noyer, alors même que les morceaux choisis sont écrits dans une tessiture médiane, loin de l'effet opératique et de ses lignes tendues. Le premier volet offre ainsi une mélodie du compositeur belge Guillaume Lekeu, ''Nocturne'' (1892), au charme voluptueux, la voix bercée de mystère. Puis vient, de Fauré, ''La lune blanche luit dans les bois'', extrait du recueil de La Bonne Chanson, distillant la sereine mélancolie d'un paysage nocturne. ''L'Île inconnue'', dernière pièce du recueil Les Nuits d'été de Berlioz, prend dans la transcription réalisée par Dratwicki, une opulence mesurée et surtout des couleurs irisées lors de l'évocation des diverses contrées rêvées par la narratrice. La seconde partie s'ouvre par un morceau instrumental emprunté à Fernand de La Tombelle, ''Orientale'', dont a été réalisé un arrangement à partir de la partition originale pour piano à quatre mains : des mélismes envoûtants dans le dessin mélodique, son majestueux crescendo et sa péroraison dans un souffle. ''Nuit d'Espagne'' de Massenet (1874) déploie un rythme hispanisant fantasmé et un ailleurs sensuel charmeur. Enfin ''Désir de l'Orient'' de Saint-Saëns (1871), mélodie pour voix et piano tirant elle-même son origine d'un air de son opéra La Princesse jaune, nous transporte dans l'exotisme pur et là encore dans le fantasme, symbolisés par l'expression récurrente ''Là-bas !'' en fin de strophe. L'ajout du début de l'Ouverture dudit opéra apporte une conclusion toute de fébrilité et une touche quasiment japonisante.

Le volet suivant aborde des états plus fébriles. La Chanson perpétuelle d'Ernest Chausson, sur un texte de Charles Cros, dispense les longues phrases sinueuses coutumières à cet auteur. Le piano commente et les cordes envoûtent l'histoire d'une jeune Ophélie narrant son destin amoureux, jusqu'à une quinte exaltée finale. Font écho les épanchements douloureux de la mélodie ''Ceux qui, parmi les morts d'amour'' de Guy Ropartz (1864-1955), d'après un poème de Heine. Entre les deux pièces, La lugubre gondole de Liszt, pour violoncelle et piano, distille une douceur trompeuse, car celant une angoisse intérieure qu'un réchauffement de dynamique trahit sans doute. ''Après un rêve'' de Fauré voit le mélodisme typique du musicien enluminé par le présent arrangement chambriste. Quelle meilleure introduction à la dernière partie, ivresse d'une nuit de fête, que le Molto vivace du Quintette pour piano et cordes de Widor, vif et entraînant, si ce n'est un développement un brin plus sage. Suit ''La vie en rose'' de Marcel Louiguy, chanson de et immortalisée par Piaf. Son refrain langoureux sur le rythme de valse « Quand il me prend dans ses bras » prend un relief encore plus sensuel dans cet arrangement chambriste. La façon dont Véronique Gens la chante l'assortit d'une saveur gourmande, ce que la conclusion instrumentale renforce encore. ''J'ai deux amants'', extrait de L'Amour masqué de Messager (1923), sur des paroles de Sacha Guitry, offre une valse élégante et un esprit impertinent. En tout cas, un joli clin d'œil de la part de la chanteuse. Tout finit par ''La dernière valse'' de Reynaldo Hahn qui dans son spectacle ''Une revue'', en 1926, rend un hommage aussi enivré que nostalgique à la Belle Époque, une sorte de valse des adieux.

L'art suprême de diseuse de Véronique Gens, les sortilèges d'un timbre reconnaissable entre tous parent ces pièces d'un charme fou. La phrase caressée, l'émotion palpitante nous en font savourer chaque détail. Encore un joyau à porter au crédit de son inlassable défense du répertoire français, déjà illustrée dans la trilogie des héroïnes romantiques ''Tragédiennes'' en compagnie de Christophe Rousset (Erato), et plus récemment par d'autres disques pour le label Alpha. Comme celui consacré à Chausson et son Poème de l'amour et de la mer. La contribution de l'ensemble I Giardini, Shuichi Okada, Pablo Schatzman, violons, Léa Hennino, alto, Pauline Buet, violoncelle et David Violi, piano, est d'une extrême sensibilité doublée d'une réelle intensité, comme le sont les exécutions des morceaux purement instrumentaux. Et il faut encore souligner combien sont pertinentes les transcriptions effectuées par Alexandre Dratwicki, lesquelles retrouvent toujours l'esprit des œuvres d'origine et les adornent d'une aura certaine.

Les enregistrements, à la Salle Philharmonique de Liège, dispensent un son chaleureux et d'une belle immédiateté, dans une image totalement naturelle. La voix est joliment enveloppée par le quintette et les pièces instrumentales magistralement captées. Une fière réussite.

Texte de Jean-Pierre Robert  

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