Fellag Bled Runner au Théâtre du Rond-Point (Paris)
Mise en scène : Marianne Epin
du 23 février au 9 avril 2017
au Théâtre du Rond-Point
LA SUITE APRÈS LA PUB
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Dans ses précédents spectacles (Djurdjurassique Bled, Un bateau pour l’Australie, Le dernier Chameau, Tous les Algériens sont des mécaniciens et Petits chocs des civilisations) Fellag, fidèle à lui-même revenait sans cesse sur le thème de la mémoire et des rapports entre les deux communautés françaises et algériennes.
Le spectacle actuellement présenté au Théâtre du Rond-Point (Fellag Bled Runner) ne constitue nullement une rupture par rapport à ses spectacles antérieurs : il en constitue une sorte de continuité comme si Fellag de manière quasi-obsessionnelle tentait d’unir passé et présent par la seule magie du verbe. Fellag s’ingénie durant toute la durée de ce spectacle à tisser d’incroyables histoires qui semblent irréelles comme par exemple l’idée qu’il se fait d’un Français alors qu’il n’est âgé que de cinq ans !Car lorsque les Français arrivent en plein bled il s’avère qu’il s’agit d’une section de soldats sénégalais pratiquant la religion musulmane. Notre Fellag va donc rapidement en déduire que les Français sont Noirs et musulmans. Bien entendu cette certitude s’effondrera du jour au lendemain lorsque une troupe de soldats Français blancs fera à son tour irruption dans ce lointain et oublié patelin algérien. Comme une sorte de film, les différentes étapes de l’existence de Fellag vont peu à peu surgir du passé, contées par un personnage semblant presque jongler avec ces différents univers surgis de sa mémoire. Pourtant ne nous méprenons pas. Plus Fellag semble survoler avec un certain détachement les différents épisodes de son existence passée, plus son propos dessine en filigrane les occasions perdues entre les deux communautés. On sent chez Fellag une sorte de regret lancinant. Pourquoi le divorce entre les deux communautés a été jusqu’à son terme ? Fellag possède un don précieux celui de privilégier le dialogue entre les deux communautés même si la Mer Méditerranée les a séparées à jamais en 1962. Fellag ne fait pas l’impasse sur les évènements qui ont ensanglanté l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix, une période d’une incroyable férocité qu’il aborde avec une franchise de ton excluant toute omission sur ces faits dramatiques. Au terme de ce voyage effectué à la fois dans son propre passé et face à un avenir incertain, Fellag semble se barricader dans une forme d’humour excluant tout recours à la violence, favorisant au contraire le retour définitif vers l’espoir et la coexistence. Le public adhérent avec enthousiasme à cette vision du monde consensuelle et venu nombreux lors de cette représentation du spectacle Fellag Bled Runner, rendit à l’artiste un hommage amplement mérité !
Texte de Michel Jakubowicz