CD : Le Palazzetto Bru Zane fête le romantisme français
- ''The french romantic experience – Bru Zane discoveries in 19th century music''
- dans les domaines de l'opéra, de l'opérette et du café-concert, de la cantate, de la musique sacrée, de la musique orchestrale, de la musique concertante, de la musique de chambre, de la musique de piano & de la mélodie
- œuvres de : Étienne Méhul, Johann Christoph Vogel, Rodolphe Kreutzer, Charles-Simon Catel, Daniel Steilbelt, Luigi Cherubini, Gaspare Spontini, André-Modeste Grétry, Antonio Sacchini, Jean-Baptiste Lemoyne, François-Joseph Gossec, Ludwig Wenzel Lachmith, Antonio Salieri, Johann Christian Bach, Benjamin Godard, Pierre-Louis Dietsch, Fromental Halèvy, Félicien David, Charles Gounod, Victorin Joncières, Giacomo Meyerbeer, Camille Saint-Saëns, Louis-Ferdinand Hérold, Édouard Lalo, Jules Massenet, André Messager, Laurent de Rillé, Jacques Offenbach, Frédéric Toulmouche, Hervé, Charles Pourvy, Léon Xanrof, Vincent Hyspa, Théodore Gouvy, Xavier Boisselot, Paul Dukas, Alfred Bruneau, Claude Debussy, André Wormser, Georges Bizet, Charles-Henri Plantade, Fernand de La Tombelle, Henri-Napoléon Reber, Marie Jaëll, George Onslow, Antoine Reicha, Alexis de Castillon, Jean Cras, César Franck, Charles-Valentin Alkan, Charles Bordes, Lili Boulanger
- Interprètes divers*
- 10 CDs Palazzetto Bru Zane : BZ 2001 (www.bru-zane.com)
- Durée des CDs : 77 min 55 s + 79 min 32 s + 58 min 46 s + 72 min 47 s + 74 min 05 s + 72 min 10 s + 79 min 32 s + 71 min 18 s + 75 min 23 s + 71 min 26 s
- Enregistrements réalisés entre 2008 et 2019
- des labels Bru Zane, Alpha, Ambroisie, Aparté, Chandos, cpo, Decca, Erato, Glossa, Grand Piano, La Dolce Volta, L'empreinte digitale, Ligia digital, Mirare, Musicales Actes Sud, Naïve, Ricercar, Timpani, Zig-Zag Territoires
- Note technique : (5/5)
Pour fêter ses dix ans, le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française (PBZ), fondé fin 2009, nous offre un florilège de ses réalisations. Conçu sur le modèle du CMBV, cette institution a pour vocation la redécouverte et le rayonnement international du patrimoine musical français de la période 1780-1920. Les territoires investigués sont nombreux et l'attention a été portée sur les compositions de bien des musiciens oubliés et vers les pans négligés de la production d'autres célèbres, tel le piano de Gounod. La présente compilation de 10 CDs, représentant plus de 12 heures d'écoute, est classée en 9 genres, du piano à l'opéra, de la cantate à la musique concertante, de l'orchestre à l'opérette, de la musique sacrée à la musique de chambre, sans oublier la mélodie. Ils sont illustrés par des extraits d'enregistrements marquants effectués entre 2008 et 2019, outre quelques inédits, et parus sous le label maison et les divers labels partenaires. La constellation des artistes réunis, du beau monde, laisse pantois. Un coffret bienvenu à la gloire de la musique française du XIXème trop méconnue et injustement oubliée.
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Le secteur de l'opéra se taille la part du lion avec deux CDs. Pour couvrir, respectivement, la période 1780-1830 et celle de 1830-1900. Au titre de la première, où ne s'impose pas immédiatement la notion de romantisme, on découvre une nouvelle esthétique qui rejette le merveilleux et les passions figées du baroque, pour privilégier la versatilité des sentiments. Les grands mythes et thèmes opératiques sont revisités, ceux de Roméo et Juliette, de Phèdre, de Médée... On y trouve les premières grandes réalisations du PBZ avec bien des titres tirés de l'oubli. Tel ce drame La Toison d'or de Johann Christoph Vogel (1756-1788), créé en 1786, ou Astianax (1801) de Rodolphe Kreutzer, dont Véronique Gens interprète l'air d'Andromaque dans un Allegro fébrile. Antonio Sacchini avec Renaud, de 1783, se situe dans le sillage de Haydn. Jean-Baptiste Lemoyne voit sa Phèdre, créée en 1786 à Fontainebleau, illustrée par un des airs du rôle titre, nourrissant la tragédie du sentiment d'horreur. Daniel Steibelt aussi, dont le Roméo et Juliette (1793) offre un grand air de soprano au tragique assumé et pourvu d'une technique exigeante, magistralement exécuté par Elsa Dreisig. Puis le prolixe Méhul avec Adrien (1799) ou Uthal (1806). Cherubini avec Lodoïska, de 1791, écrit sur un livet français, et naguère redécouvert par Riccardo Muti à la Scala. Spontini et son Olimpie, de 1819, imité de Voltaire, remis au jour ou en 2016 à la Philharmonie de Paris et alors saisi live par Bru Zane. Deux raretés passionnantes encore : Amadis de Gaule de Johann Christian Bach, le plus jeune fils du Cantor, sur un livret de Quinault, a été créé en 1779 à l'Opéra Comique et exhumé sur cette même scène en 2012 ! Les mystères d'Isis (1801) d'un certain Ludwig Wenzel Lachmith, est une adaptation en français de La Flûte enchantée de Mozart : la musique bien connue, pour ce qui est ici de la fin du Ier acte, est à l'appui d'un texte bien différent.
Le Casino Bru Zane à Venise : façade sur canal ©DR
La seconde période de 1830 à 1900 est celle de l'ère du Grand opéra français et sa mixité stylistique. Sans laisser de côté les grands titres de Meyerbeer ou d’Halévy, la sélection en présente d'autres qui méritent l'attention. C'est là sans doute un des apports les plus originaux des recherches du PBZ, que de contribuer à la constitution d'un dictionnaire lyrique, qu'illustre la collection ''Opéras français'' du label maison, à travers ses fameux livres-disques. Que ce soit d'abord des titres plus ou moins connus d'auteurs célébrés. Ainsi d'Halévy avec La Reine de Chypre (1841), pourtant un succès à l'époque, ou de Meyerbeer et L'Africaine, représenté ici par un des airs d'Inès, chanté par Diana Damrau, grand morceau de vocalité démonstrative avec sa quinte aiguë recherchée. De Saint-Saëns, avec Proserpina (1887) ou Les Barbares (1901), ou de Massenet avec Le Mage, créé en 1891, un an avant Werther. De Lalo encore avec La Jacquerie (1892), son dernier opéra, achevé par Arthur Coquard, sur un texte de Mérimée. On entend ici un ensemble grandiose dont se détache le duo soprano-ténor sur fond de chœurs dans le lointain avant un finale bien cuivré. Enfin Gounod est illustré avec Cinq-Mars (1877), Le tribut de Zamora (1881), et surtout Faust (1859), dans sa version originale dont est donnée ici le ''finale de la prison''. On a rendu compte de cette prestigieuse réalisation, dirigée par Christophe Rousset. Sont dévoilés aussi des opéras d'auteurs moins célébrés, pourtant intéressants. Benjamin Godard avec Dante, ou Félicien David et son Herculanum, sa meilleure œuvre pour la scène, donnée en 1859 à l'Opéra de Paris, exhumée à La Monnaie de Bruxelles en 2014, origine de la captation réalisée pour Bru Zane par Hervé Niquet, une des chevilles ouvrières de la remise au jour de ce répertoire. Hérold encore et Le Pré aux clercs, un opéra comique de 1832, sur une nouvelle de Mérimée, ressuscité à l'Opéra Comique en 2015. Ou encore Pierre-Louis Dietsch (1808-1865) et Le Vaisseau fantôme, écrit en 1842, sur le propre scénario de Wagner dont il se sépara en le lui vendant à son arrivée à Paris en 1839. Marc Minkowski a tiré de l'ombre cet opéra en le couplant avec l'original Der Fliegende Holländer. On entend ici le duo final entre Minna (versus Senta) et Troïl (versus Der Holländer), musique sans doute moins séduisante que celle de Wagner, mais d'un poids dramatique certain.
Autre genre investigué, l'opérette et le café concert. Un secteur ayant souffert de l'oubli et du cliché de musique peu exigeante. Indispensable pourtant. Et qui ne saurait être réduit au seul Offenbach. La sélection permet d'entendre des raretés comme Les Petites Michus de Messager (1897) dont les couplets d'Aristide possèdent un charme légèrement suranné. Mam'zelle Nitouche (1883), du prodigue Hervé, auteur d'une bonne centaine de titres, est parée d'une ouverture toute pimpante que prolonge un savoureux duo dans le ton rataplan, comme expérimenté lors de la production donnée au Théâtre Marigny. Les Chevaliers de la Table ronde ne sont pas en reste, déployant des ensembles bourrés de quiproquos et d'onomatopées irrésistibles. Le Petit Poucet de Laurent de Rillé (1824-1915), compositeur et orphéoniste français, offre ici un savoureux duo. Comme La Saint-Valentin (1895) de Frédéric Toulmouche de fins couplets et petits ensembles. Bien sûr, on se réjouit à l'évocation des musiques d'Offenbach : de Vert-Vert (1869), de Boule de neige (1871), dont deux airs colorature sont interprétés à ravir par Jodie Devos dans un récent CD, et de La Périchole, une œuvre majeure, dans une interprétation de Minkowski encensée ici. Le répertoire du café concert mérite un coup d'oreille, représenté par trois auteurs en vogue : Charles Poulny (1839-1905) dont L'Impôt sur les célibataires est un pastiche sur l'air ''La ci derem la mano'' du Don Giovanni de Mozart ; puis Léon Xanrof, chansonnier, notamment au Chat noir à Montmartre, distillant une langue gouailleuse. Enfin Vincent Hyspa (1865-1938), humoriste, dont les textes étaient mis en musique par Satie : tel son inénarrable Le Prisonnier de l'Élysée, ''qui doit bien s'amuser'' et sort incognito du palais ''chantant vive la liberté'' !
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Herculanum.
Autre intéressante anthologie, celle consacrée aux cantates. Le XIXème voit éclore le genre de la cantate à partir de la création du Prix de Rome de composition musicale en 1803. C'est là aussi une des entreprises phares du PBZ et de sa collection ''Musiques du Prix de Rome''. Elle nous a promis quelques étonnantes exhumations. Ainsi de Velléda de Xavier Boisselot (1811-1893) qui lui valut le Prix en 1836, ou la tragique destinée d'une druidesse ayant trahi son serment, tout comme Norma, pour un amour interdit. Bizet obtient le Prix, de haute lutte, en 1857 avec Clovis et Clotilde, dont la ''Prière'' est donnée ici par Véronique Gens. Le jeune Saint-Saëns écrira deux cantates, Le retour de Virginie (1852) puis Ivanohé (1864). Quant à Gounod, il livrera les siennes en 1838 (La Vendetta) et 1839 (Fernand). Alfred Bruneau obtient le Prix en 1881 pour Geneviève de Paris. Tout comme André Wormser en 1875 pour Clytemnestre : l'air de l'héroïne, chanté par Marie-Nicole Lemieux, voit la terrible reine se remémorer le trop sanglant souvenir d'Agamemnon, dans un récit hautement dramatique ''le remords au cœur m'est resté''. Dukas, en 1889, écrit Sémélé, dont le trio final offre une musique presque illustrative dans son tournoiement envahissant, préludant à une fin quasi extatique. Quant au jeune Claude Achille Debussy, candidat à trois reprises à Rome, il écrit un morceau de concours, Le Gladiateur (1883), avant ses trois envois officiels. Une facette bien ignorée de son art !
Le chapitre de la musique sacrée offre aussi de belles pages, sans doute plus austères. C'est que l'église est alors moteur dans la constitution d'un répertoire spécifique. De nombreuses commandes sont passées d'ouvrages de formes variées : messes, motets et oratorios. Parmi cette pléthore, le PBZ a déjà révélé bien des pièces marquantes. Parmi la dizaine de messes écrites par Gounod, on entend des extraits de sa Messe de Saint-Louis-des-Français (1841), et de la Messe vocale (1843) où il use du style gothique et qui n'est pas sans faire penser à Palestrina. Saint-Saëns a contribué au genre avec ses Vingt Motets dont trois sont donnés ici : ''Inviolata'' pour chœur de sopranos presque séraphiques, ''Tantum ergo'' et ''O salutaris hostias''. Sur ce même verset, Dukas compose le sien ; mais aussi un ''Panis angelicus'' avec violon et violoncelle concertants, soprano solo et chœurs d'hommes. Cherubini compose en 1816 un Requiem à la mémoire de Louis XVI, pour chœur mixte, d'un style spectaculaire, là où quelques années après, en 1823, Charles-Henri Plantade (1764-1839) commet une Messe des morts à la mémoire de Marie-Antoinette, lui qui avait eu le privilège de chanter en duo avec la jeune reine de France. D'autres noms encore : Félicien David avec l'un de ses Six Motets, ou Le Jugement dernier, page incantatoire. Fernand de la Tombelle et son Pie Jesu, fervente page pour chœur a cappella mixte à quatre voix. Dans bien de ces œuvres, Hervé Niquet apporte sa grande expertise à la tête du chœur de son Concert Spirituel.
Le compositeur Théodore Dubois (au piano) entouré d'une brochette d'amis musiciens ©DR
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Le domaine de la musique orchestrale est le lieu d'œuvres ambitieuses créées à l'occasion de l'émergence des sociétés symphoniques, tant à Paris qu'en province. Les compositeurs restent majoritairement fidèles à un langage classique. C'est là un secteur que le PBZ cherche à étoffer à l'avenir. La présente sélection propose d'abord des extraits de symphonies. Comme la Symphonie N°2 d’Hérold (1814) dont le finale Rondo offre une vivacité dans l'esprit des londoniennes de Haydn. La Symphonie gothique op.23 de Benjamin Godard (1874), dédiée à Saint-Saëns, est composée de cinq séquences, sorte de pastiche d'une suite baroque : la 3ème, Grave, est une belle méditation qui se situe, comme toute l'œuvre, dans la tradition nouvelle de l'Ars Gallica. La Symphonie N°2 de Théodore Dubois (1912), qui connut une création plus que houleuse digne d'une bataille d'Hernani, est d'une belle animation à l'Allegro initial, d'une écriture aisée, notamment pour les vents. Dans la ''Danse espagnole'' tirée de l'opéra Le Tribut de Zamora, Gounod déploie une verve plus ibérique que vraie. On entend encore trois ouvertures. L'Ouverture « Le Giaour » de Théodore Gouvy, de vastes proportions, est le type du morceau en forme de résumé, doté d'un beau solo de hautbois. Elle n'est pas sans évoquer quelque procédé wagnérien (on pense à Lohengrin), O sacrilège ! La perle du Brésil (1851) de David confirme les éminentes qualités d'écriture du musicien, singulièrement la manière de mener un développement. Enfin l'Ouverture Polyeucte de Paul Dukas (1891) signe une grande fresque brillante.
Le secteur de la musique concertante voit l'émancipation de la virtuosité qui s'exprime dans le concerto de soliste où l'on ne se refuse rien, dont un accroissement symphonique procuré par un orchestre souvent pléthorique contre lequel celui-ci doit lutter avec héroïsme. Mais aussi l'émergence de formes brèves. Au titre de ces dernières, la Fantaisie Pastorale pour violon et orchestre de Gouvy, où sur une trame lyrique émerge une partie soliste raffinée. Villanelle pour cor et orchestre de Dukas est un morceau empreint de mystère auquel le soliste apporte une couleur rassérénante, presque joyeuse. La Fantaisie pour harpe de Dubois est une fête pour l'instrument, ce qu'Emmanuel Ceysson ne se fait pas faute de célébrer par une exécution d'une suprême transparence. Ou encore la Suite concertante pour violoncelle, piano et orchestre de Dubois, une forme peu usitée, qui voit un double dialogue : corde-piano s'ajoutant à celui avec un orchestre fourni. Pour ce qui est de la forme concertante proprement dite, le violoncelle est représenté par Marie Jaëll (1946-1925), compositrice, pédagogue et pianiste : le concerto pour violoncelle et orchestre, qui date des années 1880, offre une écriture soliste intense sur une trame plutôt élégiaque dans son premier mouvement donné ici. Le concerto de piano reste bien sûr le plus fréquenté. Jaëll en composera deux. Du Concerto pour piano N°1, des années 1870 et dédié à Saint-Saëns, l'Adagio, joué par Romain Descharmes, montre une sûre manière. Le Concerto pour piano N°4 d’Hérold (1813), son dernier, oscille entre classicisme et préromantisme de sa forme en seulement deux mouvements : Jean-Frédéric Neuburger joue ici le second, Rondo, d'une veine allègre et virtuose annonçant les grandes œuvres du genre à venir au XIXème. Le Concerto de piano et orchestre de Lalo (1889) offre un finale emporté d'un vaste orchestre où le piano fait brillante figure. Enfin, Vanessa Wagner interprète le premier mouvement, un inventif Allegro, du Concerto pour piano N°1 de Dubois, sur un Érard de 1880.
La compositrice Marie Jaëll ©DR
La musique de chambre voit son répertoire se densifier, conséquence de changements sociologiques majeurs, car on passe alors du salon à la salle de concert. La Société de composition musicale crée un concours dès 1873 laissant une large place à ce secteur et, à compter de 1895, les envois de Rome doivent comporter une œuvre de musique de chambre. Les recherches compositionnelles sont donc intenses et l'élégance française déploie toutes ses vertus. La sonate est ici représentée par Benjamin Godard et sa Sonate pour violon et piano N°3 op.9 (1869). Virtuose du violon et de l'alto, élève d'Henri Vieuxtemps, chef d'orchestre et professeur au Conservatoire de Paris, Godard commettra huit sonates de violon. La troisième se compose de cinq mouvements dont un Andante d'un clair lyrisme, donné ici par Nicolas Dautricourt et Diana Ciocarlie. Le genre du quatuor à cordes est extrêmement prisé. Antoine Reicha, auteur de quelques 24 opus, livre dans son Quatuor op.90 N°2 un finale d'un fin classicisme et d'une rythmique pleine d'esprit. George Onslow, dit ''le Beethoven français'', annonciateur du romantisme, écrit dans son Quatuor op.8 N°1 (1814) un premier mouvement Lento-Agitato bien construit. Le Quatuor N°2 (1869) de Félicien David possède dès son Allegro graciozo élégance et naturelle animation, dans le sillage de Mendelssohn. On trouve pareil raffinement dans le Quatuor N°4 op.56 de Gouvy, singulièrement le second mouvement Romance, d'un doux lyrisme, joué par les Cambini. On retrouve cet ensemble jouant les quatuors de Gounod. Le Quatrième Quatuor en la mineur, de 1890, est le plus abouti de la série : son Allegretto sur le mode nocturne est envoûtant. Le Quintette avec piano op.1 d'Alexis de Castillon (1838-1873) paie sa dette envers Schumann qu'il admirait et son quintette op.44. Le vaste Ben moderato initial, donné ici, se signale par la plénitude de son premier thème et la tournure gracile de l'entier morceau. Le CD comprend encore des morceaux isolés comme l'étonnante Suite pour 3 violoncelles de Fernand de la Tombelle, méditation pas triste, sonnant tel un petit orchestre de chambre, l'un des trois protagonistes faisant office de primus inter pares. Le Largo pour violoncelle et piano de Jean Cras est un morceau d'une rare profondeur de pensée usant des ressources vocales du cello et dispensant une dramaturgie maintenant l'auditeur en haleine.
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La musique pour piano connaît un essor important du fait de ce que les deux grands facteurs Pleyel et Érard autorisent avec leurs instruments toute sorte de virtuosité, encouragée par les professeurs du Conservatoire. Deux répertoires se développent concurremment : celui réservé à l'élite, et celui à l'adresse de l'amateur bourgeois qui peut jouer chez lui sur son piano flambant neuf. Le genre se décline en de multiples formes. Une foultitude de pièces isolées d'abord. Comme les Études dans le genre fugué op.97 de Reicha, Au matin op.83, de Godard, une magistrale rêverie, ou un Allegretto agitato de David, joué par Jonas Vitaud avec un charme discret, ou encore La Veneziana, une barcarolle de Gounod. La Sérénade N°2 de Gouvy (1855) offre une écriture balancée. Le ''Prélude'', extrait de Prélude, aria et final, op.23 de César Franck (1887), est joué magistralement par Bertrand Chamayou. De Marie Jaëll, on peut apprécier aussi un extrait du cycle Les Beaux Jours, par Diana Ciocarlie, et le premier morceau de Ce qu'on entend dans le Paradis, par David Bismuth. La Sonate ensuite. Ainsi de la Sonate pour piano op.9 qu’Hérold compose en 1817, et dont le premier mouvement séduit par son apparente simplicité, pour l'amateur éclairé sans doute. Du même musicien, les Variations sur ''Au clair de la lune'' offrent un travail imaginatif, amusant, voire cocasse à partir du thème bien connu, ce qui est rendu avec zest et goût par Romain Descharmes. La Sonate pour piano de Dubois montre que sous le conservatisme qu'on lui a tant reproché, se cache un franc mélodisme, illustré par le second mouvement Andante quasi Adagio. Enfin, la Grande Sonate « Les quatre Âges » de Charles-Valentin Alkan (1847) affiche une formidable maîtrise : la seconde période, ''30 ans'', marquée ''quasi Faust - sataniquement'', démontre combien à ce bel âge rien ne résiste. À son interprète ici, Pascal Amoyel, non plus.
Le Casino Bru Zane, la cour intérieure ©DR
Last but not least, la mélodie connaît un essor tout à fait singulier. Les noms illustres ne doivent pas faire oublier tous les autres et ces milliers de titres trop longtemps restés dans l'ombre, singulièrement les mélodies avec orchestre. Tout cela, le PBZ l'a minutieusement ressuscité. Et ce n'est pas fini ! Toute une nouvelle génération de chanteurs a porté haut le flambeau, comme le baryton Tassis Christoyannis, pour ne citer que lui. Gounod a été fort prolixe dans ce genre. D'une sélection exhaustive de ces mélodies par le label Aparté en 2018, sont présentées ici l'orientaliste ''Metjé'' et ''Venise'', vision d'une lagune indolente, au calme saisissant, presque angoissante à travers la partie de piano. De Lalo, Christoyannis chante ''Tristesse'' dont l'accompagnement pianistique est aussi ouvragé que la ligne de chant, et ''Les petits coups'', musique de salon, certes, mais bien séduisante. De Félicien David, ''Tristesse de l'Odalisque'' est chanté par Cyrille Dubois et ''Le nuage'' par Christoyannis. Celui-ci offre encore ''Passez nuages roses'' de Fernand de la Tombelle, pièce d'une désarmante mélancolie. Dans tous ces morceaux, cet artiste recréé la même profondeur, la délicatesse de la phrase, aptes à les mettre en valeur. Enfin Lili Boulanger se voit honorée de deux inédits au disque, interprétés par Cyrille Dubois : ''Attente'', presque angoissant, et ''Reflets'', d'un délicat balancement ; complétant la sélection présentée par le récent CD consacré aux sœurs Boulanger. Des mélodies orchestrées, on entend ''L'ondine et le pêcheur'' de Dukas où s'étale le talent d'orchestrateur de l'auteur d'Ariane et Barbe-Bleu, ses sonorités en pierreries, à l'appui d'une charmante déclinaison du mythe de l'ondine. Le PBZ a permis la redécouverte, en 2016, des mélodies avec orchestre de Saint-Saëns, qui contiennent bien des pages notables. Comme ''Aimons-nous'', chanté par Yann Beuron, ou ''Extase'' par Christoyannis, là où mystère et pudeur se rejoignent aussi bien dans la voix qu'au clavier. Marie Jaëll dans ''La légende des ours'' bâtit comme une scène d'opéra, dramatique et torturée. ''Le poète et le fantôme'' de Massenet, interprété par Sandrine Piau, Julien Chauvin et le Concert de la Loge, au sein d'une anthologie ''Si j'ai aimé'' paru chez Alpha, offre tout le charme d'un musicien qui a tant célébré la femme, ce que magnifie Piau dans cette pièce de délicieuse nostalgie d'une jeunesse perdue.
Voilà assurément un parcours compréhensif, un résumé exhaustif de l'action conduite par le Palazzetto Bru Zane durant cette première décade ! Et de surcroît une entreprise pédagogique qui peut être complétée par la consultation de la base de données maison (www.bruzanemediabase.com). Il est organisé avec pertinence et goût dans les enchaînements des morceaux d'un même genre. Les interprétations, du plus haut niveau, en viennent à s'effacer devant les œuvres tant il y a à découvrir. Même si on est frustré parfois de ne pas en entendre plus. Mais c'est là une excellente introduction aux disques d'origine et tout ce qu'il faut pour désirer aller s'y plonger.
Ce même niveau d'excellence concerne les enregistrements, effectués entre 2008 et 2019, émanant du label PBZ et des labels partenaires, qui connaissent leur technique sur le bout des doigts. Car ces captations, dans des lieux divers, offrent une belle cohésion sonore.
Poursuivons donc ensemble la route pour les dix, vingt, cent prochaines années !
Texte de Jean-Pierre Robert
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- * Véronique Gens, Julie Fuchs, Karine Deshayes, Yann Beuron, Elsa Dreisig, Karina Gauvin, Sandrine Piau, Kate Aldrich, Catherine Hunold, Marie-Nicole Lemieux, Clémentine Margaine, Judith van Wanroij, Chantal Santon-Jeffery, Jodie Devos, Aude Extrémo, Maria Riccarda Wesseling, Nathalie Manfrino, Virginie Pochon, Renata Prokupic, Élodie Méchain, Sally Matthews, Nora Gubisch, Marie-Ève Munger, Marie Lenormand, Ingrid Perruche, Maria de Liso, Marie Kalinine, chanteuses
- Charles Castronovo, Michael Spyres, Benjamin Bernheim, Jean-François Lapointe, Cyrille Dubois, Bernard Richter, Tassis Christoyannis, Nicolas Courjal, Stanislas de Barbeyrac, Jean-sébastien Bou, Sébastien Droy, Mathias Vidal, Alain Buet, Reinoud van Mechelen, Jean Teitgen, Marc Barrard, Philippe Talbot, Edgaras Montvidas, Russell Braun, Éric Huchet, Étienne Dupuy, Andrew Foster-Williams, Julien Behr, Marc Mauillon, Engerand de Hys, chanteurs
- Bertrand Chamayou, Jeff Cohen, Jean-Frédéric Neuburger, Jean-François Heisser, Romain Descharmes, Vanessa Wagner, Pascal Amoyel, François-René Duchâble, Roberto Prosseda, Jonas Vitaud, Diana Ciocarlie, Nathanaël Gouin, Emmanuelle Swiercz, Ivan Ilić, David Bismuth, Éliane Reyes, Tristan Raës, piano
- Ted Papavrami, Nicolas Dautricourt, violon
- Emmanuel Ceysson, harpe, Hans van der Zanden, cor, François Saint-Yves, harmonium
- Xavier Philips, Marc Coppey, François Salque, Hermine Horiot, Adrien Bellom, Emmanuelle Bertrand, Aleksrand Kramouchin, violoncelle
- Quatuors Ruggieri, Cambini-Paris, Ardéo, Satie
- Christophe Rousset, Hervé Niquet, Jérémie Rohrer, Fabien Gabel, David Reiland, Marc Minkowski, Paul MacCreesh, Laurent Campellone, François-Xavier Roth, Michael Schonwandt, Diego Fasolis, Ulf Schirmer, Pierre Bleuse, Patrick Davin, Pierre Dumoussaud, Jean-Pierre Heck, Christian Arming, David Stern, Jacques Mercier, Jean-Jacques Kantorow, Guy Van Wass, Markus Poschner, Julien Chauvin, chefs d'orchestr
- Chœur de chambre de Namur, Flemish Radio Choir, Purcell Choir, Chœur du Concert Spirituel, Chœur de Radio France, Chœur de l'Opéra national de Bordeaux
- Le Concert Spirituel, Les Talens Lyriques, Les Agrémens, Orchestre National Montpellier Occitanie, Le Cercle de l'Harmonie, Solamente Naturali, Orféo Orchestra, Münchner Rundfunkorchester, Brussels Philharmonic, Orchestre de l'Opéra de Lyon, Orquestra Gulbenkian, Orchestre Philharmonique de Radio France, Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, Orchestre national des Pays de la Loire, I Giardini, Orchestre Symphonique de l'Opéra de Toulon, Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Opera fuoco, Orchestre National de France, Orchestre National de Lorraine, Sinfonia Varsovia, Les Siècles, Orchestra della Svizzera Italiana, Le Concert de la Loge, Orchestre régional Avignon Provence, Orchestre National de Lille
- Compagnie Les Brigands, dir. Christophe Grapperon, Les Lunaisiens, Arnaud Marzorati
Coffret de CDs disponible sur Amazon
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